[UNE PROF EN FRANCE] Encore un gamin victime d’un système à bout de course…

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Je ne vous ai pas raconté d’anecdotes depuis un moment. En voici une.

Un de nos élèves, L., est en grande difficulté. Il a, semble-t-il, des soucis de compréhension, auxquels s’ajoutent un manque absolu de travail et une préoccupante pauvreté lexicale. Il ne comprend donc à peu près rien de ce que nous disons et faisons en cours. Dès la fin de la première semaine de cours, en septembre, j’étais dans le bureau de la directrice adjointe pour évoquer son cas, faire des propositions et solliciter des consignes. Depuis trois mois, nous échangeons entre collègues à son sujet. Le conseil de classe approchant, je suis retournée, pour la 4e ou 5e fois, voir la direction afin de leur soumettre mon problème : malgré les multiples adaptations dont je le fais bénéficier, cet élève n’a rendu que deux travaux sur les onze demandés et termine avec une moyenne trimestrielle de… 0,78. J’ai suggéré à mon directeur de lui faire passer le CFG (certificat de formation générale, un examen très simple) au lieu du brevet afin qu’il ne termine pas ses quatre années de collège seulement sur des échecs. Fin de non-recevoir. Le brevet est un droit, selon lui, et notre devoir est de permettre à chaque élève d’accéder à la culture et de bénéficier de ses bienfaits. Bien. Je me demande pourquoi je ne suis pas plus souvent des cours d’astrophysique en russe, pour que le savoir infuse en moi par imprégnation…

J’avais demandé aux élèves de lire La Chambre des officiers de Marc Dugain, roman plus simple que le premier que nous avions étudié. Un gros contrôle était prévu pour évaluer leur lecture et leur révision de tout ce que nous avions fait sur le thème de la guerre. L’élève en question a bien évidemment séché le contrôle, grâce à la complaisance de la nouvelle infirmière, qui n’a vraisemblablement pas compris que nos élèves étaient en bonne santé et qu’il y avait un loup quand 90 élèves sur les 360 que compte le collège défilaient dans son bureau en une seule journée… La vie scolaire s’arrache les cheveux, d’autant plus que je leur ai évidemment demandé de trouver un créneau pour permettre aux quatre élèves qui avaient passé les deux heures du contrôle à l’infirmerie de refaire un devoir.

Je leur ai donc demandé de rédiger un texte répondant aux questions suivantes. Pourquoi, selon vous, est-il si difficile pour un humain d’être défiguré ? Comment peut-on réussir à surmonter cela et à se reconstruire ? Suivaient six lignes dans lesquelles je leur donnais une certain nombre de pistes et d’idées qu’il suffisait de développer un peu. Travail prémâché.

Voici ce qu’a écrit L. : « Dans la communication des gueules casser et compliquer car certain on plus de vous plus d’audition car certains se font froler de la par l’oreille cause de balle, explosions. les expression sont dure car dépend on peux pas voir si la personne riguole, souris car le avoir plus de machoir ou autre. Les émotions sont autanst pareil que les expressions car le visages peux être déformer ou le visage et paralyser. Les personne se dise "c’est quoi ça ect…)" la personne et traumatiser, peur, triste. » Je m’arrête là, vous avez compris l’idée. Que dois-je faire avec cela ? Je fais une photocopie du devoir et la transmets à mon directeur pour qu’il comprenne mieux la situation. Je pensais que cela allait le convaincre d’agir, de m’autoriser par exemple à ne plus évaluer L. mais à lui proposer exclusivement des exercices alternatifs et de l’inscrire au CFG. Que nenni ! Suis-je naïve…

Je vous livre, telle quelle, la réponse de mon directeur, reçue par mail - après qu’il eut évoqué « mon cas » en conseil pédagogique, en mon absence, pour dénoncer auprès de mes collègues mon « décalage » : « Je pense qu'il faudrait très rapidement vous mettre en contact avec vos collègues de lycée qui vous diraient que ce travail est celui de 20 % de leurs élèves. Ce contact vous permettrait peut être de relativiser vos exigences au niveau du collège. Je suis bien évidement à votre disposition pour échanger sur ce sujet ô combien essentiel que je pense maîtriser après neuf ans d'expérience en lycée. » Voilà voilà. Le poisson pourrit par la tête, mais aussi par tous ses membres… Ce qui tue l’école, ce ne sont pas seulement les réformes délétères de ministres éphémères, c’est surtout, sur le terrain, l’idéologie délirante de beaucoup de directeurs - et enseignants - qui continuent de croire, comme les communistes les plus extrémistes, que leur idéologie va changer le réel, et qui refusent absolument ce même réel lorsqu’il s’éloigne trop de leur grille de lecture théorique. Pauvre L., qui va être victime de la folie utopiste d’un doctrinaire et d’un système en bout de course.

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Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

50 commentaires

  1. Peut-être que cet enfant est handicapé : jadis, on le détectait avant 10 ans.. Ou alors, la langue française est pour lui aussi brouillageuse que du Boulez ou du Messian pour moi. Lui apprendre le tricot, peut-être ? Honte à ces directeurs d’école qui n’en sont plus, et de totale mauvaise foi..

  2. Retraité de l’EN depuis 26 ans ( j’ai 86 ans) , je me rends compte que la chute de niveau s’intensifie . Déjà dans les années 80 ~ 90 , ce n’était pas bien brillant en orthographe lexical et grammatical , pas plus qu’en expression écrite . Dans les années 60 , on avait encore dans les collèges des élèves qui « savaient écrire » correctement . Après un séjour de 20 ans à l’étranger ( enseignant en français langue étrangère) , je suis rentré au pays . Je suis tombé de haut . Très haut même . Surtout au point de vue discipline . Cependant mes élèves ont vite compris que j’étais de la « vieille école » , qu’on rigolait deux ou trois minutes au début du cours , mais qu’après on bossait . ET ça a bien marché . Aux réunions parents-profs , lesdits parents m’ont tous fait part de leur satisfaction .

  3. N’oublions jamais que l’école laïque telle que l’a voulue Jules Ferry, n’avait qu’un but: celle de former de futur soldats aptes à lire un mode d’emploi. Dans un monde où les bisounours sont rois, où l’on se refuse à croire que nous sommes en danger face à des barbares, l’école n’a qu’une vocation de garderie. C’est au peuple de se réveiller, d’exiger de ses politiques qu’ils les défendent et mettent les moyens pour que le pays fasse nation. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut écarter du pouvoir tous ceux qui ne voient dans la politique qu’un moyen de subsistance et ne garder que ceux qui y voient un moyen de fédérer une nation.

  4. N’oublions jamais que l’école laïque telle que l’a voulue Jules Ferry, n’avait qu’un but: celle de former de futur soldats aptes à lire un mode d’emploi. Dans un monde où les bisounours sont rois, où l’on se refuse à croire que nous sommes en danger face à des barbares, l’école n’a qu’une vocation de garderie. C’est au peuple de se réveiller, d’exiger de ses politiques qu’ils les défendent et mettent les moyens pour que le pays face nation. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut écarter du pouvoir tous ceux qui ne voient dans la politique qu’un moyen de subsistance et ne garder que ceux qui y voient un moyen de fédérer une nation.

  5. Il ne s’agit pas d’un ‘système en bout de course’ – il n’existe que depuis 143 ans, une goutte d’eau dans l’histoire du pays – mais d’une volonté systématique d’abêtissement des jeunes générations dans un contexte général de déstabilisation de l’Occident.

  6. De mon temps, on apprenait l’essentiel à l’école primaire. À l’entrée en 6ème, on maîtrisait très l’orthographe et la compréhension des textes. À plus de 5 fautes dans une dictée, on était à la limite de la délinquance.
    C’était aussi l’époque des
    rédactions.

  7. Cet élève objet de la démonstration de Madame Fontanel n´est pas un cas désespère, il a déjà le profil pour devenir a terme un excellent député LFI, voir un PM du NFP.

  8. Le texte-récit de Mme Fontanel est «  »unique » » dans la mesure où elle a le courage d’écrire ce qu’elle voit (subit). Le pire n’est pas le constat qu’elle dresse, c’est l’indifférence dans laquelle il est reçu. On se croirait encore dans les années 80 avec l’enseignement à colliers de barbe…………….

  9. On peut mieux comprendre que le pb de cet élève est victime de l’aveuglement idéologique de ce « directeur » et de certains de vos « collègues ». J’espère que malgré cela, il pourra quand même s’inscrire dans sa vie future. Se fermer les yeux et se boucher les oreilles n’ont jamais été une bonne chose. Mais nous vivons dans une société dans laquelle les élites se félicitent de pouvoir compter sur une population ignorante et bêlante. C’est tellement plus facile à manipuler. C’est très grave mais c’est ainsi..

  10. Quand je pense à ceux qui prétendent vouloir simplifier la langue française, je pense à ces pauvres petits maghrébin que des instituteurs « tortionnaires » ont forcé à apprendre les règles de grammaire, et bien d’autres difficultés qui les ont mis au rang des élites de la langue française, à l’inverse de ce qu’il se fait de nos jour avec des profs souvent plus nuls que leurs élèves. S’ils veulent simplifier la langue française écrite, est-ce pour leurs élèves ou pou eux ?

  11. Peut être pourrions nous accuser certains profs de maltraitance intellectuelle en refusant de donner aux enfants petits ou grands de maternelle au lycées la possibilité de s’instruire car l’Instruction des matières fondamentales ( Français , mathématiques , lecture et écriture ) sont du domaine de l’ECOLE , et les parents eux c’est l’Education , la politesse , le respect et la tenue ! ( l’enfant qui grandi sans éducation et sans les bases de l’instruction devient un sauvageon )

  12. Mon arrière-grand-mère, issue d’un milieu peu favorisé, dont les parents savaient sans doute à peine compter et lire, a quitté l’école à 10 ans en 1902, pour travailler et participer aux charges de ce foyer dans le dénuement. Certes elle n’avait jamais entendu parler de l’ADN ou des mathématiques, mais elle savait compter et, surtout, elle écrivait un français parfait, sans aucune faute d’orthographe ou de grammaire. C’est sans doute un peu grâce à cela, et à beaucoup de volonté et de courage, que bien des années plus tard elle monta avec son mari, immigré italien pas mieux loti financièrement, un petit commerce de plumes (les jeunes ne savent sans doute même pas ce que c’est …) qui leur permit de vivre mieux que leurs parents et de ne pas mourir dans la pauvreté.
    L’idéologie qui dirige l’éducation nationale depuis 50 ans est effectivement d’abord mortifère pour tous ces élèves qui n’apprennent rien, pas même le français. S’il y a encore 40 ans n’importe quel élève sortant avec un diplôme, qu’on ne lui donnait pas, avait une chance de trouver un travail et d’avoir une chance de faire quelque chose de sa vie, c’est bien parce qu’il apprenait quelque chose. Même les CAP de l’époque avaient une chance de réussir (il y a bien eu un ministre dans ce cas), ce qui n’est même plus le cas des hyper-diplômés d’aujourd’hui.
    Si l’école avait continuer à donner un sens à l’éducation, nous aurions moins d’illettrés et plus de personnes sachant quoi faire de leur vie. Et, dans le cas de cet élève, il n’aurait pas été honteux de lui proposer une autre voie, peut-être vers un métier manuel dans lequel il aurait pu exceller, à la condition que les enseignants ne dénigrent plus ces filières délaissées.
    A l’heure où, de manière éphémère, on se rappelle que Notre Dame de Paris a été rénovée par des artisans et à quel point ils devraient être indispensables, on pourrait aussi se rappeler que les bâtisseurs de cathédrales étaient illettrés. Mais de cela l’Education Nationale n’en a cure

    • Bonjour Eric D, Excellent, Tout le monde devrait avoir droit à sa place et être utile à la société. Dans une mine de bauxite de Guinée, j’avais dans mon atelier de rectification de composants (moteurs et transmissions) deux mécaniciens analphabètes. Et pourtant, ils tenaient leur place en remontant des moteurs Caterpillar de série « 34 » six, huit ou douze cylindres. Mon adjoint guinéen et moi-même ne nous penchions que sur la métrologie (prise de côtes) et leur fournissions les pièces d’usure adéquates. Certe, ils ne savaient remonter que ce type de moteur qui une fois testés ne posaient aucun problème en production. Et ce, alors qu’en France aujourd’hui peu de mécaniciens savent rectifier un moteur thermique.

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