On pourrait croire, avec un brin de naïveté, que la sortie d'un blockbuster français, objectivement très réussi, réjouirait la presse. Le premier des deux volets de l'adaptation cinématographique des Trois Mousquetaires met en scène les quatre célèbres héros avec rythme, panache et brio. Les connaisseurs retrouveront leurs quatre amis, les novices auront peut-être envie d'acheter le livre de Dumas. Tout le monde aurait pu être content.
Oui, mais il fallait tout de même sacrifier un peu à la modernité. Constance Bonacieux est ainsi interprétée par la superbe Lyna Khoudri, parce qu'il fallait un peu de diversité. Quant à Porthos, le voici devenu bisexuel, ce que l'on apprend par une série d'allusions relativement discrètes mais sans équivoque - parce qu'il fallait, imagine-t-on, un personnage de la communauté LGBT. Ça ne change rien au déroulement du film ni à la fidélité du reste de l'adaptation. Cela pourrait rester un ajout anecdotique. Pourtant, Le Huffington Post se demande très sérieusement, à ce propos, si cette modification du personnage est crédible. Une spécialiste de Dumas, qui rétablit la vérité romanesque, affirme que Porthos, quoique totalement hétérosexuel dans le livre de Dumas, pourrait tout à fait, avec un peu de bonne volonté, être un bisexuel crédible. L'histoire d'amitié de nos héros, par exemple, ne se prêterait-elle pas à une certaine ambiguïté ?
Avec encore un peu plus de bonne volonté, on pourrait peut-être même imaginer que tous nos héros seraient un peu de la fanfare, pour reprendre l'expression estampillée Laurent Gerra, sans méchanceté aucune, non ? Aramis, tout en dentelles et en bijoux, ami de ces dames, toujours en train de se pincer les oreilles pour garder sa jolie carnation, serait un prêtre queer défendable. Athos, le misanthrope solitaire, serait peut-être un vieux garçon un peu rance, incapable d'aimer les femmes, sorti d'un quelconque roman de Montherlant. D'Artagnan lui-même... et Richelieu... et on sait que Louis XIII, à ce qu'on dit... Bref, si on fait un petit effort, La Cage aux folles ne serait pas si loin de ce qui ressemblait tout simplement, au départ, à un excellent film de cape et d'épée.
La spécialiste dumasienne rappelle cependant à juste titre que, dans Le Comte de Monte-Cristo, du même Dumas, Eugénie Danglars, la fille du méchant banquier qui a comploté jadis contre Edmond Dantès, est une lesbienne qui finit par s'enfuir avec son amie. Dumas n'est donc pas « LGBT-phobe » et n'aurait pas hésité à créer un personnage « LGBT » dans son maître ouvrage... s'il l'avait fallu. C'est justement là que l'exégèse ne tient pas. Puisque Dumas n'aurait pas eu de pudeurs bourgeoises à présenter un personnage bisexuel, et qu'il ne l'a pas fait, c'est peut-être que cela n'apportait rien à l'intrigue. C'est peut-être donc que, comme le rappelait Oscar Wilde, peu suspect d'homophobie lui-même, en exergue du Portrait de Dorian Gray, « un livre n'est pas moral ou immoral, il est bien ou mal écrit, un point c'est tout ». Les nouveaux pères-mères-la-morale de 2023 n'ont pas compris cela.
Une œuvre, une vraie, n'est pas une suite de cases pseudo-morales à cocher - ou, en tout cas, ne l'était pas, jusqu'à l'irruption de la censure woke. On ne voit pas bien ce que cet ajout d'un Porthos bisexuel apporte (ou enlève, d'ailleurs) à l'intrigue. Ce n'est pas « mal » comme certaines ligues de vertu pourraient hâtivement l'imaginer. Ce n'est pas « bien » non plus, comme les journalistes et le réalisateur semblent le penser. C'est tout simplement sans intérêt, c'est simplement pour faire moderne. Bon. Si ça les intéresse tant que ça, et si ça les amuse...
Que cela n'empêche personne d'aller voir ce film, excellent par ailleurs ! Et laissons les nouveaux obsédés à leurs tristes obsessions...

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16 avril 2023 à 19:44

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42 commentaires

  1. Tout est toujours ramené au sexe désormais !
    Avant la personnalité morale d’un individu, on va s’interroger sur ses préférences sexuelles , homo, hétéro, trans, bi etc…
    Après, on s’étonnera de vivre dans une société violente où les enfants manquent de repères !
    N’a t -on rien d’autre à leur offrir que des questions de genre sexuel qui les mettent mal à l’aise avec leur propre corps, et que peut nous apporter ce grand déballage de vie intime ?

  2. Nos grands cerveaux actuels devraient se pencher sur une possible hypothèse: Richelieu était-il transsexuel?
    Dame, il portait déjà une robe!

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