On nous a déjà fait le coup pour la Poste, on nous le fait tous les jours pour l’École, cette fois-ci c’est pour Radio-France : « Il faut défendre le service public ! ». Et certes nous ne demandons pas mieux que de défendre le service public. Mais pourquoi faut-il qu’il soit si mauvais ?
Je ne parlerai pas ici de France Inter que je n’écoute pas. Comme tout est descendu d’un cran ou deux, j’imagine que cette station ressemble aujourd’hui à ce qu’on appelait avec un peu de mépris, dans ma jeunesse, les postes périphériques. En écoutant France Musique, on se dit de plus en plus souvent, à propos de tel ou tel journaliste, « celui-là serait mieux sur France Inter, tout de même ». Et il en va de même, plus d’une fois, pour la musique diffusée. Celle que répand France Culture, pendant ce temps, il n’est pas sûr qu’NRJ ou Radio-Nostalgie en voudraient.
Il est d’ailleurs significatif que ces postes qui furent de prestige en ont naturellement si peu, désormais, et produisent un son si mal reconnaissable, qu’ils sont obligés de se nommer tous les quarts d’heure, afin que l’auditeur sache où il est. France Musique dit une jeune personne d’un ton cruche, comme si elle posait pour des voitures au Salon de l’Auto, avec la gestuelle assortie. Vous êtes sur France Culture, dit-on pompeusement sur France Culture, comme on dirait à peu près : « Vous êtes dans le salon de Mme de Rambouillet », ou : « Vous êtes chez Aspasie au temps de Périclès ». Et les journalistes eux-mêmes, quand ils ne sont pas à se souhaiter un bon anniversaire, à se féliciter pour la naissance du gamin ou à déplorer le départ de la stagiaire, disent : « On est sur France Culture, en même temps », afin d’expliquer le niveau faramineux, selon eux, des échanges. Pour le reste, à l’exception de quelques heures par jour et de quelques émissions, c’est à peu près comme sur Arte : il faut vraiment être un homme ou une femme politiques remplacistes (il est vrai qu’il n’y en a pas beaucoup d’autres… ) pour croire tomber là sur de hauts lieux de l’esprit.
La politique y a de longue date remplacé la culture, l’idéologie y a remplacé la politique, la propagande (remplaciste, c’était bien le moins) y a remplacé l’idéologie — le tout dans une langue qui prend l’eau de toute part, malgré ses chevilles innombrables (ou à cause d’elles). Et c’est ce service public-là, tout à sa médiocrité corporatiste et autocomplaisante, qu’il faudrait défendre ?
Non, non, non. Pourquoi ne pas profiter plutôt de cette grève ridicule et qui n’en finit pas (les bandes sonores de remplacement disent à merveille, ingénument, la vérité de ce que sont devenues les stations…), pour fonder deux institutions qui font grandement défaut à notre pays : une chaîne de radio pour la culture, et une autre pour la musique ?
Tout dans la société française contemporaine est dans un état de délabrement si avancé qu’il n’y a d’espoir de salvation, au moins dans un premier temps, que dans les sanctuaires — autant dire les couvents du haut Moyen Âge, les villages fortifiés du temps des grandes invasions.
L’égalité sortie de son lit a détruit la famille, détruit l’école, détruit la culture, la citoyenneté, l’identité, la nation. En proclamant qu’avaient la même autorité les parents et les enfants, les maîtres et les élèves, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, le grand art et la musiquette, Yves Bonnefoy le poète et Lino le rappeur (celui qui donne un séminaire à l’École normale supérieure) ; en conférant le même poids dans les affaires de l’État aux citoyens et aux non-citoyens ; en parant du même rayonnement et de la même présence (dans le meilleur des cas) ce qui appartient à la culture nationale et ce qui n’y appartient pas, ce qui procède de la civilisation occidentale et ce qui la contredit même très agressivement, on a fait s’effondrer de l’intérieur tout ce qui donnait structure à notre république et sens à notre existence collective.
Comment espérer réformer l’école, en proie aux intérêts contradictoires et au sophismes syndicaux ? Comment sauver le paysage, abandonné à la banlieue générale ? Comment rétablir des musées qui soient des musées et non pas promis comme le Louvre et tant d’autres à un avenir de galerie marchande et de parc d’attraction ? Comment offrir à la culture et la musique des lieux d’échange et de vitalité qui ne soient pas soumis à des exigences d’audience, fatalement destructrices en période de Grande Déculturation ? Il faut multiplier les sanctuaires, les sites préservés : des écoles ou des maîtres volontaires enseignent selon les règles à des élèves non moins volontaires ; des parcs nationaux où soient conservés pour les générations à venir des morceaux de ce qui fut la nature ; des musées qui ne se soucieraient que de la qualité de leurs collections et de leurs accrochages, pas du nombre de leurs visiteurs ; des conservatoires pour l’intelligence, la connaissance et la beauté.
Ce n’est qu’à partir de pareils sanctuaires qu’une reconquête est envisageable.
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