Avant, tout était simple. Il y avait les bons et les méchants. Les bons ? C’était les Français. Forcément. Les méchants ? Au fil des siècles : les Anglais, les Prussiens, les Allemands. Enfin, nous eûmes les Soviétiques. Là, ça, c’était déjà un peu plus compliqué car tous les Français n’étaient pas d’accord sur cette vision, vu que le communisme allait apporter dans les soutes de ses blindés le bonheur aux peuples opprimés par le capitalisme.

Aujourd’hui, tout est plus compliqué. L’ennemi est partout et nulle part à la fois. À un moment, on nous avait même expliqué que l’ennemi, c’était le terrorisme parce qu’il ne fallait surtout pas prononcer les mots tabous qui fâchent. Tout est plus compliqué, d’autant que tout n’est plus comme avant. Avant, pour « monter au front », on mettait les soldats dans des trains (« Hommes 40, chevaux en long 8 »). Le front : une ligne bien claire sur une jolie carte d’état-major punaisée sur les murs du QG. Plus on se rapprochait du front, plus on risquait de se faire trouer la peau. Plus on s’éloignait du front, plus on était planqué.

Aujourd’hui, plus de front et l’ennemi est partout.

Mais, au fait, c’est qui, l’ennemi ? C’est, par exemple, celui qui contrôle des zones où la République est accueillie avec des boules de pétanque, mieux : des tirs de kalachnikov. La carte des forces en présence est donc très compliquée à établir. On est passé du linéaire au patchwork. Une rue, une avenue marquera la frontière ou la ligne de confrontation entre la zone de droit et celle de non-droit ou d'un autre droit.

Ceux qui sont passés, jadis, par les Balkans entre Bosnie et Kosovo ont connu ça dans sa version aboutie. Un univers d’enclaves avec, parfois, des enclaves dans les enclaves ! Sur les hauteurs de Sarajevo, par exemple, on passait d’une zone croate où l’on voyait, l’été, les habitants prendre le café sur le balcon de leur pavillon, assis autour d’une table de jardin, comme par chez nous. On passait dans un autre village et l’on voyait aussi des gens prendre le café sur le balcon de leur pavillon. Un pavillon qui ressemblait à celui qu’on avait vu quelques minutes auparavant. Mais ces gens-là prenaient leur café accroupis. On était en zone bosno-musulmane. Précision : les gamins étaient tous blonds.

En France, on n’en est pas encore là. Mais ne parle-t-on pas, déjà, de la communauté machin, de la communauté chose. Illustration : à Dijon, il y a dix jours, les Tchétchènes organisaient une expédition punitive contre les Maghrébins.

Tout est compliqué, aujourd’hui, disions-nous. Les événements mais aussi les commentaires de ces événements. Ainsi, toujours au sujet de Dijon, la semaine dernière, l’essayiste Raphaël Glucksmann prenait la défense des Tchétchènes dans un tweet : « “Les Tchétchènes” sont donc promus, de gauche à droite, grands responsables de l’insécurité des quartiers, du trafic et des mosquées salafistes. C’est pratique. “Les Tchétchènes” sont peu nombreux et ne votent pas. Donc l’essentialisation est sans risque. Lâcheté. Nausée. » Il faudra qu'il explique alors  comment appeler ces personnes qui ont fondu sur le quartier des Grésilles et que les médias ont qualifié de « membres de la communauté tchétchène »,  de « ressortissants tchétchènes », de « Tchétchènes » tout court, afin d’éviter cette satanée « essentialisation »A contrario, quelle « essentialisation » pourrait bien être facteur de risque ? À quelle « communauté » nombreuse et votant pouvait penser le compagnon de Léa Salamé ?

Le député européen, une semaine après, semble préciser sa pensée à l’occasion de la sortie du dernier Paris Match qui titre « Alerte aux Tchétchènes. Enquête sur une communauté discrète et inquiétante », en tweetant : « Sérieusement @ParisMatch ? C’est quoi ce titre ?... L’essentialisation raciste, ça passe tranquille quand il s’agit des Tchétchènes ? Vous auriez osé avec les Algériens, les Juifs ou n’importe quelle autre communauté ? » Des questions qui en amènent plein d'autres. Par exemple, celle-ci : est-ce raciste de nommer une communauté sur laquelle on a enquêté ?

Tout était plus simple avant. Et on n'est qu'au début.

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25 juin 2020 à 21:06

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