L’interpellation, le 11 novembre 2008, d’une vingtaine de personnes dispersées à travers toute la France mais réunies pour la circonstance sous le nom de « groupe de Tarnac », avait marqué la fracassante entrée en scène de la toute nouvelle DCRI (Direction centrale du Renseignement intérieur). Sept ans plus tard, que reste-t-il ce qui avait été présenté à l’époque comme un succès retentissant de la lutte anti-terroriste ? Un faisceau d’approximations, d’erreurs et de mises hors de cause qui n’est pas sans rappeler le fiasco policier et judiciaire de l’affaire dite des Irlandais de Vincennes qui, après les avoir nimbés de gloire, avait couvert de ridicule les super-gendarmes du capitaine Barril et du commandant Prouteau.

S’agissant de l’affaire dite de Tarnac, les faits avérés se sont au fil des années réduits à assez peu de chose.

Il est incontestablement établi que dans la nuit du 8 au 9 novembre 2008 la pose d’un crochet sur une caténaire, non loin du village de Dhuisy (Seine-et-Marne) sans mettre en danger la vie des voyageurs, fut à l’origine de retards significatifs sur la ligne du TGV-Est. C’est tout. C’est maigre.

Cette même nuit d’automne, il est communément admis que Julien Coupat, cerveau et animateur du « groupe » et sa compagne d’alors, aujourd’hui sa femme, Yldune Lévy, se trouvaient en voiture dans l’immédiate proximité des lieux du sabotage. Comme c’est bizarre, comme c’est étrange, et quelle coïncidence ! Mais à en croire les deux intéressés, leur halte n’obéissait qu’à des motifs personnels, plus précisément amoureux. Le désir frappe où il veut. Il aurait donc conduit les deux tourtereaux jusqu’à Dhuisy. Sans vouloir être désobligeant envers les habitants de Dhuisy ou des communes avoisinantes qui ont nom Marigny-en-Orxois et Bézu-le-Guéry, jamais jusqu’alors dans leur histoire modeste et même obscure, ils n’avaient été la destination de croisières touristiques, de voyages de noces ni même d’excursions romantiques, et l’idée que M. Coupat et Melle Lévy se sont payé la tête des enquêteurs a plus de vraisemblance que leur version. Alors ? Étaient-ils en mission de repérage ? De surveillance ? De recueil ? Rien ne permet de trancher sur ce point, et il ne semble pas non plus qu’ils soient allés jusqu’à la voie de chemin de fer visée.

S’ils l’avaient fait, cela aurait-il pu échapper aux as de la DCRI présents sur place ? Difficile à croire, tant ce coin d’Ile-de-France, habituellement si paisible, ressemblait en cette nuit fatidique à la forêt enchantée du Songe d’une nuit d’été et grouillait d’oreilles attentives et de regards indiscrets. Malheureusement, les procès-verbaux dressés par les divers services de police, ordinaire ou secrète ne sauraient faire foi. Certains de ces documents sont en effet signés par des policiers qui ne pouvaient être présents sur les lieux, tandis que n’y figurent pas les noms d’autres policiers qui, eux, y étaient. La surveillance dont le « groupe de Tarnac », à son insu, était depuis longtemps l’objet (écoutes, pose de balises sur les voitures, etc.) était pleinement illégale et ses conclusions ne peuvent donc être retenues dans un État de droit. Enfin, et surtout, les inexactitudes, les incohérences et les étonnantes lacunes de ces rapports s’expliqueraient assez facilement si elles avaient eu pour raison d’être le désir maladroit de cacher l’existence d’indicateurs ou de provocateurs sans lesquels ni l’attentat n’aurait été perpétré ni les suspects n’auraient été repérés ni les amoureux n’auraient eu l’étrange idée de voir Dhuisy by night. L’audience nous apportera peut-être des éclaircissements à ce sujet.

Quoi qu’il doive en être, en l’état actuel du dossier, ce ne sont plus vingt, mais seulement quatre personnes – dont Julien et Yldune Coupat- qui devraient être déférées au tribunal sous l’inculpation relativement restrictive d’association de malfaiteurs, l’intention terroriste n’ayant finalement pas été retenue. Au fil des années, il est en effet apparu que le terrible « groupe de Tarnac » agglomérait de façon assez lâche des militants révolutionnaires aussi exaltés et dangereux dans leurs propos ou leurs écrits – dont le fameux L’Insurrection qui vient, ouvrage collectif et apocalyptique – que retenus, prudents, voire timorés dans la pratique. Le « Comité invisible » n’est ni la réincarnation d’Action directe ni l’avatar français de la Fraction armée rouge ou des Brigades rouges. Par les temps qui courent, ce sont d’autres mouvances et d’autres milieux qui menacent notre société et ne se contentent pas, hélas, de retarder les trains avec des fers à béton. Il ne faut pas confondre Daniel Cohn-Bendit et Oussama ben Laden ni prendre Julien Coupat pour le calife Abou Bakr al Baghdadi.

Le complot de Tarnac a décidément fait pschitt. Tout cela se terminera d’ici à quelque temps par une série d’acquittements au bénéfice du doute. La présomption d’innocence doit profiter à tous, même à ceux qui ne la méritent pas tout à fait.

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11 août 2015

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