Symboles de banlieue : la rue Maxime-Gorki deviendra-t-elle la rue Jacques-Chirac ?

rue Jacques Chirac

À Aulnay-sous-Bois, plutôt réputée pour ses barbecues improvisés et sa jeunesse mutine, on ne décolère apparemment pas. Demain 1er mars, la rue Maxime-Gorki doit officiellement devenir la rue Jacques-Chirac. Ainsi en a décidé le conseil municipal, lors d'une session d'été qui a apparemment pris tout le monde de court.

Interrogés par Le Parisien, les habitants fournissent des explications qui ne semblent pas les convaincre eux-mêmes : force de l'habitude et difficultés administratives sont les principales. Il y a pourtant autre chose, semble-t-il, de plus symbolique dans la mémoire des plus âgés : la rue Gorki fut débaptisée sous l'Occupation. Alors, forcément, la débaptiser à nouveau, même pour lui donner le nom de Jacques Chirac...

Alekseï Pechkov prit le nom de « Gorki » (« amer », en russe) pour décrire avec tout l'âpreté nécessaire les difficultés de la condition des prolétaires sous le régime tsariste. Expulsé par Lénine après la révolution bolchevique, il fut rappelé par Staline et devint, jusqu'à sa mort en 1936, l'archétype de l'écrivain officiel. Certificat d'honorabilité irréprochable pour Aulnay qui fut, jusqu'en 1983, l'une de ces « banlieues rouges » que se disputèrent SFIO et PCF.

Jacques Chirac, lui, fut un radical-socialiste clandestin qui incarna longtemps la droite familière (ancrage campagnard, coups de gueule, anti-atlantisme et tutti quanti) jusqu'à ce que le bon peuple s'aperçoive, bien après Marie-France Garaud, c'est-à-dire bien trop tard, qu'il n'était pas « du marbre dont on fait les statues » mais « de la faïence dont on fait les bidets ». Rempart en carton contre Le Pen en 2002, il finit ses jours dévoré par une vilaine maladie neurodégénérative - justice immanente, diront certains, contre un homme qui avait passé sa vie à tout mélanger.

Alors, qui de Gorki l'écorché vif ou de Chirac le démolisseur bourgeois aura gain de cause à Aulnay ? L'affaire est doublement symbolique : outre le choix des icônes du siècle, elle montre aussi que les habitants, regardant paisiblement flamber les tours au pied desquelles ils vivent, s'insurgent contre le Grand Remplacement des noms de rue. On a sans doute des lucidités à sa mesure.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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