Suprême ironie du sort : au Royaume-Uni, lire 1984 est considéré comme un signe de radicalisation !

orwell1984
L'excellent Douglas Murray vient de donner un inquiétant éditorial au Spectator, très ancien magazine britannique de tendance conservatrice. Il s'intéresse cette fois au programme « Prevent » (« Empêcher », en anglais), initialement mis sur pied pour contrer la radicalisation islamique. Le problème, c'est que ce programme devait nécessairement finir par s'intéresser aux vrais problèmes : ceux que pose l'extrême droite. Évidemment, les camps d'entraînement paramilitaires, les attentats à la bombe, les discours de haine, tout ça, c'est l'extrême droite. Le fait que personne ne soit capable de la définir permet, chez nous comme en Grande-Bretagne, de taper sur tout ce qui dépasse du marécage woke. Ainsi, selon « Prevent », du Brexit ou de la lutte contre l'immigration, deux opinions largement majoritaires outre-Manche, que le programme considère cependant comme problématiques.
L'Unité de recherche, d'information et de communication (Research Information and Communication Unit, RICU, en anglais) a publié en 2019 une liste de comportements « radicaux » qui constitueraient autant de signaux faibles. Cette liste a été rendue publique la semaine dernière, et elle est proprement terrifiante. Écouter des personnages politiques de « centre droit », comme l'excellent Jacob Rees-Mogg, ou lire L'Étrange Suicide de l'Europe (2017), un livre de Murray lui-même, sont autant de signes qui devraient alerter les proches d'un possible futur extrémiste. Parmi les séries télévisées qui précèdent un éventuel passage à l'acte (et on se demande bien lequel), la RICU note, toujours avec les subventions du contribuable anglais, que Les plus beaux voyages avec la Compagnie britannique des chemins de fer sont généralement plébiscités par les fachos de Sa Gracieuse Majesté. Peut-on aller plus loin ? Pas sûr.
Évidemment, certains grands auteurs n'auraient pas échappé à la vigilance du programme « Prevent ». On peut d'ailleurs se servir de cette liste pour se constituer une liste de lecture, car tous ces écrivains ou penseurs identifiés comme « radicaux » ont du génie. Les œuvres de Joseph Conrad (auteur de Lord Jim ou Au cœur des ténèbres, qui servit de trame au film Apocalypse Now), C.S Lewis (à qui on doit Le Monde de Narnia et Tactique du Diable), J.R.R Tolkien (Le Seigneur des anneaux), ainsi que les ouvrages philosophiques de Locke, Hobbes ou Burke, sont ainsi mis à cette sorte d'index woke. En attendant un prochain autodafé ?
Pour comble d'ironie du sort, l'acuité du programme Prevent s'abat enfin sur deux prophètes de la postmodernité : Aldous Huxey (Le Meilleur des mondes) et George Orwell (1984). Agissant de la sorte, le vigilant comité contre l'extrémisme se dévoile : lire des livres qui décrivent, avec une incroyable lucidité, l'endoctrinement des esprits et le règne de la pensée unique constitue presque un délit - un péché, dirait-on, si le mot était connu des petits censeurs britanniques. Tu m'étonnes. Il ne faudrait pas que les citoyens libres fassent eux-mêmes des rapprochements subversifs.
Douglas Murray, qui demande (et on le comprend) les noms de ces voleurs d'impôts, de ces coupeurs de têtes, de ces abrutis qui mutilent le patrimoine littéraire anglophone et veulent faire taire certains des plus brillants esprits politiques du temps, convient en même temps avec humour que, si c'est cela l'enfer, il y a plus mauvaise compagnie. Certes. Au-delà de l'humour, cependant, le temps n'est peut-être pas loin où il faudra, paradoxalement, s'enfermer à double tour dans sa bibliothèque pour être enfin libre. Dehors, en effet, la traque a commencé. On peut toujours essayer de fuir d'un pays occidental suicidaire à l'autre, ce sera toujours pareil. Tout ce qui changera, ce sera la langue dans laquelle on vous sert un kebab et les titres des livres qui seront mis au pilon. Bienvenue, donc, dans le meilleur des mondes d'Huxley, sous le regard du ministère de la Vérité d'Orwell, tant que ces références sont encore autorisées.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

19 commentaires

  1. Quand on sait ce qu’on sait, quand on voit ce qu’on voit, on se dit qu’on a bien raison de penser ce qu’on pense. Et dans ce monde devenu réalité si bien décrit par ces visionnaires, ce ne sera que par l’intelligence que la vérité triomphera. Tout totalitarisme est condamné à sa destruction.

  2. deviendra-t-il impossible de « s’enfermer dans sa bibliothèque pour rester libre »? Je pense à Fahrenheit… Bradbury au pilori comme Huxley et Orwell?

  3. Heureusement, j’ai « 1984 » et « La ferme des animaux » de G. Orwell dans ma bibliothèque. À lire ou à relire, comme je l’ai déjà dit plusieurs fois sur BV.

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