Il y a longtemps que vous suivez les activités de Fils de France, association de musulmans patriotes fondée par Camel Bechikh. Quel jugement portez-vous sur son action ?

Camel Bechikh est un ami, dont j’admire le courage autant que la modestie. Il a fondé l’association Fils de France afin de rassembler les « musulmans patriotes » dont vous parlez. Il proclame son « amour de la France éternelle » avec des accents de patriotisme qu’on serait bien en peine de trouver chez beaucoup de Français « de souche ». Il souhaite l’arrêt de l’immigration. Il vient de lancer une pétition au président de la République pour dénoncer « les persécutions tragiques et barbares de chrétiens et autres minorités religieuses perpétrées par Daech en Syrie ou en Irak » et appeler à « utiliser tous les moyens pour débarrasser le monde de ces meurtriers ». Toute son action se ramène à cette question : « Comment faire aimer la France aux Français musulmans ? » La moindre des choses serait de l’encourager.

Au lieu de cela, les imbéciles commentateurs islamophobes qui sévissent ici même préfèrent lui cracher à la figure en l’accusant de « taqîya ». Comme ils sont, pour la plupart, incultes, ils ignorent bien entendu dans quel cadre théologique très strict s’inscrit la pratique de la « taqîya » (ou du « kirman »). De tels commentaires me donnent la nausée. Ils me rappellent le sort de ces malheureux harkis qui, après avoir poussé cette « taqîya » jusqu’à se battre aux côtés de l’armée française, n’ont eu comme remerciements, quand ils avaient pu échapper aux tueurs du FLN, que de se voir parqués comme des chiens dans des camps.

Après les vagues d’immigration d’après-guerre, nous avons connu un « islam en France », puis un « islam de France ». Pensez-vous, tel que le préconise l’imam Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, que l’on puisse aboutir à un « islam français » ?

Je ne l’exclus pas, mais soyons réalistes : il y faudra du temps. Il faudrait déjà que s’apaisent des passions qui chaque jour s’avèrent plus dévorantes, et que chacun y mette du sien. Je recommande, à cet égard, la lecture du dernier livre de Pierre Manent, Situation de la France, vis-à-vis duquel je serai d’ailleurs moins critique que ne l’est Camel Bechikh. Disciple de Charles Péguy, Manent s’inquiète d’une « laïcité nouvelle » dans laquelle il voit le « rêve d’un enseignement sans contenu qui préparerait efficacement les enfants à être les sociétaires d’une société sans forme où les religions se dissoudraient comme le reste ». Moi qui me sens avant tout l’héritier d’une culture européenne dont les racines remontent très en amont du monothéisme, ce qui m’intéresse chez mes compatriotes chrétiens, musulmans ou juifs, ce n’est pas ce qu’ils sont ni d’où ils viennent, mais ce qu’ils pensent, à quelles valeurs ils se réfèrent et ce qu’ils sont décidés à faire. Comme le disait Oswald Spengler, ce qui met un peuple en forme, ce n’est pas l’origine commune, mais l’idée que ses différentes composantes sont capables de défendre en commun. Cela pose évidemment la question d’un projet commun assez mobilisateur pour susciter chez chacun la volonté de s’y associer. Mais c’est à cette condition que l’on pourra prendre un nouveau départ et que pourra s’écrire une nouvelle page d’histoire qui sera à l’honneur de notre pays.

Quand des musulmans français déclarent ne pas aimer la France, certains disent que ça n’a rien d’étonnant. Mais quand d’autres clament leur amour de la France, d’autres (à moins que ce ne soit les mêmes) assurent que ce sont des menteurs… Comment sortir de cette spirale infernale ?

La conclusion à laquelle je suis arrivé depuis longtemps est que l’immigration rend fou. Les évidentes pathologies sociales qu’elle a engendrées font oublier tout le reste, à commencer par le fait que nombre de musulmans immigrés de fraîche date se réfèrent encore à des valeurs traditionnelles que nous honorions nous-mêmes dans le passé, mais que la modernité a fait disparaître chez nous. Au-delà de mœurs qu’on peut à juste titre contester (mais a-t-on oublié qu’il y a à peine plus d’un siècle, une femme ne pouvait se baigner sur les plages de France qu’habillée du cou jusqu’aux chevilles, et qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les « crimes d’honneur » étaient encore courants dans bien des pays du sud de l’Europe, où ils bénéficiaient systématiquement de l’indulgence des tribunaux ?), ces valeurs ont pour noms le respect de l’autorité, le sens de l’honneur, le goût de la gratuité, l’importance du chef de famille. De telles valeurs contredisent à angle droit celles qui règnent aujourd’hui en Occident : la performance, la compétitivité, l’obsession de la consommation, l’axiomatique de l’intérêt, la logique de la marchandise et du profit. Ce choc des valeurs n’est certes qu’un aspect du problème, mais on aurait tort de le négliger. C’est lui qui explique, par exemple, pourquoi tant de Français musulmans ont été révulsés par la théorie du genre et le « mariage pour tous », pour ne rien dire du débraillé hystérique des Femen…

Je vais souvent dans les pays arabo-musulmans. J’étais il y a encore peu de temps en Jordanie. J’y ai retrouvé une gentillesse spontanée, un sens de l’hospitalité et du don que nous connaissions nous-mêmes dans le passé, mais que nous avons en grande partie perdu. L’immigration amène ceux qui la contestent à projeter leurs justes critiques contre des pays d’origine dont ils ignorent tout. Les adversaires de l’immigration se partagent entre ceux pour qui les immigrés ne veulent pas s’intégrer (« alors qu’ils devraient s’assimiler »), ceux pour qui ils ne le peuvent pas (« ils sont inassimilables ») et ceux pour qui ils ne le doivent pas (« le pire serait qu’ils se sentent charnellement français »). Ces trois positions sont évidemment contradictoires. Loin de favoriser le « vivre ensemble », l’immigration généralise la haine - une haine qui monte de tous côtés. Un désastre. Pierre Nora n’avait pas tort de dire : « L’identité française serait aussi malheureuse s’il n’y avait pas un seul immigré. »

Entretien réalisé par Nicolas Gauthier

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4 novembre 2015

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