Septembre 2008 aux Bernardins : quand Benoît XVI tentait de réveiller l’élite française…

Benoitxvi

Jeudi, les funérailles du pape Benoît XVI feront la une de la presse internationale, France comprise. Parce que la mort d’un pape suscite la ferveur les catholiques du monde entier. Parce qu’il était un saint homme, empli de charité et d’amour du Ciel, ce que personne de sérieux ne lui conteste. Parce qu'une âme chrétienne d’une telle pureté reste rarissime dans nos sociétés sécularisées, « netflixées », nivelées, abîmées par la course au plaisir et à l’argent. Parce que cette exception a quelque chose de touchant, de vrai, de beau, de grand, ce qui, là encore, est rare et donc cher. Parce que, enfin, cet homme a donné une vie, la sienne, à plus grand que lui, dans un abandon total : c’est le sens de sa vocation de prêtre. Mais il y a plus que cela, dans l’hommage des peuples en général et des Français en particulier à Benoît XVI : cette mort reflète la fin d’un Occident plein d’Histoire, de culture et de foi.

Benoît XVI concentrait à lui seul, par sa piété, sa culture livresque, sa finesse, son élégance d’esprit, son intelligence et son éducation, ce que l'Europe a produit de plus élaboré sur bien plus de 2.000 ans de civilisation. Ce dépôt, Benoît XVI a tenté de le transmettre à la France dans un des derniers grands événements intellectuels du siècle finissant.

Le 12 septembre 2008, à 17 h 30, juste avant d’assister aux vêpres dans la cathédrale de Paris, Benoît XVI s’assied sur un fauteuil de velours rouge entre deux cardinaux au fond de la nef du Collège des Bernardins tout juste restauré. Deux ans après le discours de Ratisbonne, vilipendé par toute la gauche morale française, le pape réunit là le Tout-Paris intellectuel et politique : 650 personnes. Les places sont chères, très chères. On a intrigué dans les hautes sphères de l’État pour avoir son strapontin. Tous ces fils de la République se sont levés pour applaudir à son arrivée sous les voûtes des Bernardins le 265e successeur de Pierre. Au premier rang, deux présidents de la République, Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, le ministre de la Culture Christine Albanel, le maire de Paris Jean Tiberi et son successeur en poste Bertrand Delanoë, le président du Sénat, des patrons de journaux, des grands dirigeants d’entreprise, des artistes...

C'est à ce cénacle très chic, pas vraiment blanc comme neige dans l'affaissement de la patrie, que Benoît XVI livre ce jour-là une impressionnante analyse. L’a-t-on vraiment écouté ? « J’aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne, commence le pape après les remerciements d’usage. J’ai mentionné en ouverture que le lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture monastique. De jeunes moines ont vécu ici pour s’initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission. »

Et le pape pose le débat. « Ce lieu, évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ? » Benoît XVI va démontrer à toute cette galerie laïcisée mais fière d’être là que les moines ont fait de grandes choses... parce qu’ils cherchaient Dieu. « Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif », explique-t-il. Et il démontre comment cette recherche de Dieu a conduit toute une société vers la culture livresque, l’attention aux autres, l’harmonie, l’amour de la musique et du chant. Il montre le lien entre l’intelligence et l’amour, rappelle leur rapport intime à la liberté et regrette. « Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. »

Une aberration, selon lui. « Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves, conclut-il. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable. »

Les grands patrons, intellectuels, politiques et cultureux français se sont levés pour applaudir. Ils ont raconté, commenté, admiré et… oublié. Nombreux sont ceux qui ont poursuivi paisiblement leur travail de détricotage et de destruction du pays, de son âme et de ses racines, de son peuple et de sa culture. Benoît XVI restera dans l’Histoire comme le pape qui a perçu le grand effondrement occidental, ses causes, ses manifestations et ses conséquences. Il s’est dressé contre la ruine, puis s'est retiré dans le silence, la méditation et la prière, jusqu'à la mort. Cohérent jusqu'au bout. Jeudi, l’Occident des lettres, des moines, des vastes bibliothèques antiques et feutrées, du savoir-vivre et du long dépôt civilisationnel hérité des siècles, l'Occident qui fascina si longtemps le monde s'effacera un peu avec lui.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

31 commentaires

  1. Merci pour ce bel hommage à Benoit XVI. Juste une remarque à propos de « Cette mort reflète la fin d’un Occident plein d’Histoire, de culture et de foi ». Il n’appartient qu’à nous de faire vivre l’espérance en nous appuyant sur l’enseignement de nos Papes, y compris notre Pape actuel François dont l’enseignement en choque certains (mais son charisme est différent). Et Jésus ne choquait-il pas lui aussi une grande partie de ses contemporains incapables de comprendre que seule une adhésion confiante, pleine et entière à son enseignement du mystère du Royaume qu’il venait apporter par sa simple présence sur terre permettrait ensuite d’étendre ce Royaume à l’humanité entière ? Ce n’est pas un programme politique, mais eschatologique. Jésus nous révèle l’Apocalypse ! En vivant dans son intimité, nous vivons le Royaume. Mais cet enseignement remettait trop en cause les croyances bien installées des chefs du peuple, cela relevait du blasphème, puni de mort… Jésus a connu la persécution. Ses disciples aussi… Ne punissons pas trop vite (de mort sociale ou autre) ceux qui ne pensent pas tout à fait comme nous.

  2. « Toute âme qui s’élève , élève le monde ». Benoit 16 fait partie de ces âmes qui ont participé à l’élévaton de la pensée, en mettant Dieu et la raison au Centre de Tout.
    Peut-être trop spirituel pour être compris de ce monde qui ne se réalise que dans la consommation, bien loin de l’ascèse de Benoit 16.
    Aujourd’hui le Dieu des humains c’est l’énergie, les multiples découvertes scientifiques qui facilitent leur vie , font qu’ils se prennent pour des Dieux. Ils ont tendance à oublier que Dieu est la véritagle énergie du monde. Comme le disait St François d’Assise : Dieu est en toute chose de l’infiniment petit à l’infiniment grand.
    Mais qui parle encore aujourd’hui de Dieu? Certains tuent leurs semblables en son nom, alors on peut se poser la question : Où va note monde ? Nous ne devons pas oublier que l’espérance est une vertu thologienne et nous ne devons jamais désespérer. Dieu ne nous abandonne pas.. Après Benoit 16 il y aura encore de belles figures de la chrétienté..

  3. Beaucoup d’admiration pour les message simple et fondamental de ce Pape, un vrai soldat de Dieu. restent de fortes interrogations sur ces deux successeurs…

  4. Le plus grand malheur, c’est qu’après ce pape réaliste et moralisateur soit venu derrière lui un pape du même acabit que tous ceux qui écoutaient Benoit XVI ce jour-là.

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