Maître Gabriel Versini est l’avocat de Sébastien Jallamion, policier suspendu de ses fonctions par le ministre de l’Intérieur pour sa condamnation sans détour de l’islamisme.
Pouvez-vous nous éclairer sur la situation de Sébastien Jallamion ?
Il y a plusieurs choses concernant Sébastien Jallamion et la création de son site Sébastien raconte-moi.
Il y a un premier pan, disciplinaire. À la suite de la dénonciation de ce site par « une collègue » fonctionnaire de police, Sébastien Jallamion a comparu
le 5 juin dernier devant le conseil de discipline du secrétariat général pour l’administration de la police (antenne délocalisée du ministère de l’Intérieur) pour ces faits-là. Le directeur départemental de la sécurité publique du Rhône a estimé que ce site et les photographies qui s’y trouvaient portaient atteinte aux obligations déontologiques d’exemplarité et de dignité de la fonction de policier, mais aussi à son devoir de réserve.
Quel genre de photos ?
Celle du calife de l’État islamique avec une cible sur le visage, un salafiste déambulant dans les rues de France, l’arme d’un policier destinée aux « loups solitaires », les Femen dénonçant les islamistes, Marianne voilée… Le tout agrémenté de commentaires dénonçant l’islamisme radical. La sécurité publique a extirpé certaines images, en ciblant celles qui pouvaient donner lieu à une poursuite disciplinaire ou à une condamnation pénale. Le directeur départemental a jugé qu’il ne pouvait laisser ces photos ou commentaires impunis et qu’une sanction disciplinaire était nécessaire et imparable : trois mois de suspension.
Pourquoi parle-t-on de 23 mois de suspension ?
Parce que monsieur Jallamion avait été condamné, moins de cinq ans avant sa nouvelle sanction, à une autre peine de suspension avec sursis dans un dossier relevant de sa vie privée et n’ayant donc rien à voir avec cette affaire.
Au cas d’espèce, le ministère de l’Intérieur ne pouvait que révoquer la sanction disciplinaire antérieure prononcée avec sursis et condamner finalement mon client à 23 mois de suspension ferme. Concrètement, à ce jour, monsieur Jallamion n’a donc plus de traitement, plus d’activité professionnelle, plus rien.
Ce n’est pas la seule sanction que Sébastien Jallamion doit subir ?
Non. S’est ajouté un deuxième pan, administratif : la comparution de mon client devant le parquet général de la cour d’appel de Lyon le 15 juin dernier. Monsieur Jallamion avait réussi, il y a quelques années, son habilitation d’officier de police judiciaire, mais consécutivement à la création de son site, le parquet général a estimé devoir faire comparaître l’intéressé pour envisager son retrait d’habilitation. Ce qui a été décidé par un arrêté de madame le procureur général de la cour d’appel de Lyon le 19 juin.
Enfin, il y a un troisième pan, répressif : les poursuites répressives pour le délit de provocation à la discrimination en raison de la race, de la religion, etc. J’ai remporté deux relaxes par-devant le tribunal correctionnel de Lyon, il en reste cinq à remporter devant la cour d’appel.
Nous avons eu affaire à des magistrats de qualité et à de fins juristes, honnêtement. Sauf que l’un d’entre eux était estomaqué que l’on puisse mettre une cible sur un individu barbu… Il ne connaissait donc par Al-Baghdadi, calife de l’État islamique. C’est une anecdote, mais elle en dit long…
Quelles étaient alors les réquisitions ?
Huit mois d’emprisonnement dont trois mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, soit cinq mois ferme. Le vice-procureur avait également requis une amende de 2.000 euros, le rejet de ma demande d’exclusion au bulletin numéro deux du casier judiciaire, l’interdiction de tout emploi de la fonction publique, l’interdiction de porter une arme pendant cinq ans et l’obligation de soins psychologiques et psychiatriques… C’est assez révélateur : la liberté d’expression est tellement réduite à sa peau de chagrin que dès que vous avez la volonté de vous exprimer, vous êtes un dément ou un aliéné mental !
Et quel a été le délibéré ?
Le tribunal correctionnel de Lyon a, fort heureusement, prononcé deux relaxes tout en condamnant mon client à la seule peine de 5.000 euros d’amende. Mais lorsque l’on n'a rien à se reprocher, on ne peut se satisfaire d’une condamnation, et Sébastien Jallamion a donc relevé appel de cette décision.
Quelle est la raison de cet acharnement contre Sébastien Jallamion ?
J’aimerais le savoir, même si j’ai ma petite idée… Monsieur Jallamion est un homme à la libre pensée, qui extériorise ses principes, ses valeurs, ses préceptes… Il est évidemment tenu à l’obligation de réserve et il le sait. Mais nous en sommes arrivés à un stade où ceux sur lesquels pèse cette « obligation de réserve » n’ont même plus le droit de penser, encore moins de parler et peut-être même… de respirer à pleins poumons pour porter la voix de la critique. Il est inquiétant de constater cette fonctionnarisation de la pensée et cette pénalisation de l’expression qui atteignent un paroxysme rarement égalé.
L’esprit français du verbe bien aiguisé, de la saillie acerbe, de la libre critique de tout et de tous et le débat public qui s’ensuit sont en train de disparaître dans une volonté, me semble-t-il, de formatage des esprits. Il y a, dans ce pays, une tendance à vouloir canaliser la libre pensée des citoyens et ce n’est pas acceptable : la radicalité des esprit existe aussi !
Sébastien Jallamion fait partie de cette cohorte de gens qu’on veut éradiquer, il est dans cette charrette de l’effacement de la liberté d’expression, en direction de la place de Grève pour y être guillotiné.
Un dernier mot ?
Au regard des dossiers en mon cabinet peu ou prou similaires à celui de Sébastien Jallamion, je m’interroge sur cette conceptualisation tant prônée et sacralisée de la liberté d’expression qui, dans notre pays, s’avère de plus en plus réduite à sa plus stricte expression. In fine se pose aussi la légitime question de savoir si nous devons faire montre de résilience, c’est-à-dire développer une aptitude à vivre de manière satisfaisante en dépit des circonstances traumatiques. En un mot, abdiquer avant même de lutter intellectuellement et en totale liberté d’expression contre l’islam radical qui ne saurait avoir droit de cité dans notre pays. Ou si, au contraire, nous devons faire montre de prise de conscience individuelle et collective, voire massive : en un mot, d’esprit de défense sans, bien évidemment, verser dans un acte infractionnel. C’est dans ce second registre que s’inscrit Sébastien Jallamion, sans volonté de provocation à la discrimination.
Pour terminer, je citerai Voltaire : « C’est ne vivre qu’à demi que de n’oser penser qu’à demi ! »