Sabotage de Nord Stream : un journaliste d’investigation accuse les États-Unis et la Norvège (suite)

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(Suite et fin de cet article publié le 12/2/2022)

On se plonge dans l’enquête de Seymour Hersh comme dans un roman d’espionnage qui nous entraîne du centre de plongée de la marine américaine, en Floride, aux fonds marins de la Baltique en passant par Washington, Berlin ou Oslo. Les espions y côtoient politiques et militaires pour organiser une opération secrète susceptible, si elle devait mal tourner, de déclencher un conflit armé entre deux puissances nucléaires. Dans les pièces où se prennent les décisions, les échanges relèvent de la froide logique des rapports de force. Ici, pas de grandes envolées morales. Les hommes politiques les réservent aux médias et aux opinions publiques qu’il faut convaincre et rassurer. Nous sommes dans les coulisses sans savoir s’il s’agit d’une fiction fabriquée de toutes pièces par un journaliste mégalo ou de révélations dignes de l’enquête du Watergate.

L’opération

À en croire la source de Hersh, ce sont des plongeurs de la Marine américaine qui auraient mené l’opération avec le soutien de la Marine et des services secrets norvégiens. Hersh remarque que, ces dernières années, les Américains ont considérablement renforcé leur présence militaire en Norvège avec, notamment, la rénovation d’une base de sous-marins, des radars et des avions destinés, selon lui, à espionner la Russie. Autre point important, la compétence des Norvégiens concernant l’exploration pétrolière et gazière en haute mer.

Ce serait la Marine norvégienne qui aurait trouvé le bon endroit pour réaliser l’opération : dans les eaux peu profondes de la mer Baltique, à quelques kilomètres au large de l’île danoise de Bornholm. Les Norvégiens auraient également résolu le problème du choix du moment permettant d’agir en limitant les risques de se faire repérer par les Russes. Chaque année, en juin, la sixième flotte américaine organise des exercices avec ses alliés de l’OTAN dans la mer Baltique. La couverture idéale. C’est donc à l’occasion de ces exercices que les plongeurs auraient fixé les explosifs sur les gazoducs, en juin dernier. Selon le journaliste américain, le 26 septembre, un avion de la Marine norvégienne aurait alors largué une bouée équipée d’un sonar dont le signal aurait déclenché les explosions quelques heures plus tard.

La décision

La source de Hersh indique que la planification de l’opération aurait démarré à la fin de l’année 2021, soit deux mois avant l’entrée des Russes en Ukraine. L’hostilité des Américains aux gazoducs russes de la Baltique est ancienne mais c’est la perspective de l’invasion russe qui aurait conduit l’administration Biden à envisager un plan pour les détruire. Début 2022, le groupe de travail de la CIA en charge du projet aurait dit à Jack Sullivan, le conseiller à la sécurité de Joe Biden : « Nous avons un moyen de faire sauter les gazoducs. »

Le plus extraordinaire, dans cette histoire, c’est que l’annonce de leur destruction peut être lue dans la déclaration faite par Biden lui-même, le 7 février 2022, alors qu’il recevait le chancelier allemand Olaf Scholz à la Maison-Blanche. « Si la Russie envahit, cela veut dire des chars et des troupes qui traversent la frontière de l'Ukraine, encore une fois. Alors il n'y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin », avait déclaré le président américain.

Géopolitique du gaz

Comme le remarque Hersh, les gazoducs Nord Stream ont toujours été considérés par Washington comme une menace. Pour le comprendre, il faut rappeler la hantise historique des puissances maritimes anglo-saxonnes, anglaise puis américaine, de voir se constituer à leurs dépens une puissance continentale hégémonique contrôlant l’Eurasie. Dans son livre Le Grand Échiquier, Zbigniew Brzeziński insiste sur la nécessité d’y faire barrage si les États-Unis veulent maintenir leur suprématie mondiale.

De ce point de vue, l’attitude de l’Allemagne à l’égard de la Russie constitue depuis longtemps un problème. Les gazoducs Nord Stream symbolisaient non seulement l’avancée énergétique russe en Europe de l’Ouest mais surtout le danger d’une intégration eurasiatique s’appuyant sur l’économie et l’énergie. Pour les Russes, le trajet des gazoducs reliant directement l’Allemagne par la Baltique permettait d’échapper au contrôle des Américains en contournant l’Ukraine et les pays d’Europe orientale à partir desquels Washington mène sa politique de refoulement de la Russie vers ses anciennes frontières du XVIIe siècle.

Pour les Allemands, l’opération était tout bénéfice, leur offrant à la fois de l’énergie bon marché pour leur économie et la capacité, avec la mise en place de Nord Stream 2, de devenir une plate-forme gazière qui exporte vers les autres pays européens.

Dans son enquête, Hersh rappelle les commentaires du secrétaire d’État américain Antony Blinken, lors d’une conférence de presse, le 30 septembre 2022, quelques jours après l’explosion des gazoducs : « C'est une formidable occasion pour supprimer, une fois pour toutes, la dépendance [de l’Europe] à l'énergie russe et ainsi enlever à Vladimir Poutine l’arme de l’énergie comme moyen de faire avancer ses desseins impériaux. »

C’était aussi une formidable occasion pour faire passer les Européens d’une dépendance énergétique à une autre, couper enfin l’Allemagne de la Russie et en finir ainsi avec le danger d’une unification continentale eurasiatique, cauchemar des géopoliticiens américains. Concernant les accusations de Seymour Hersh, nous ne saurons peut-être jamais si des preuves matérielles de l’implication de Washington existent. Ce qui est certain, c’est qu’il y avait bien un mobile. Mais un mobile ne fait pas le coupable. Les développements de Hersh restent donc, à ce stade, des hypothèses non confirmées et non des informations.

Frédéric Martin-Lassez
Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Qui a pu croire que ce n’étaient pas les USA ? C’était une évidence : la violence, fût-elle illégale, pour accroître ses profits.

  2. En Finlande, on sait très bien que le coup a été monté par les Rouskis depuis leur base très proche de Kaliningrad ( ex-Königsberg ). De toutes façons, en cas de déclenchement d’un conflit, les Finlandais et les Estoniens auraient fait sauter les tubes que les Russes et les Allemands ont installés dans leurs eaux territoriales sans leur demander leur autorisation.
    Les Finnois se souviennent du pacte Molotov-Ribbentrop, qui a permis l’agression RusSoviet du 30 novembre 1939. Et la prise de Viipuri, que les Russes on renommé Vyborg, et d’ou partent les fameux tubes. Financés par les oligarques de Poutine, Gerhard Schröder et Angela Merkel.

  3. Les Anglo-Américains sont nos ennemis héréditaires. Ils sont responsables de tous les conflits mondiaux depuis longtemps. (Indochine, Afrique, Guerre d’Algérie, Iran, Moyen Orient etc. etc.)
    récemment, ils ont invités la Turquie dans l’OTAN et ce qui a mis Poutine en colère, c’est qu’ils ont voulu y faire rentrer l’Ukraine.
    Nous devons absolument sortir de l’OTAN car les Russes ne sont plus communistes et le mur de Berlin est tombé il y a longtemps. Enfin, comme le préconisait VGE dans son dernier livre, il faudrait modifier l’Europe:
    1/ Les pays les plus unis soit une dizaine
    2/ Ceux qui ont une monnaie unique
    3/ Les profiteurs tels la Pologne.

    • Pour ma part, je suis OK avec votre analyse, sauf sur un point; la Turquie était déjà dans l’O.T.A.N du temps de l’union
      soviétique et représentait un véritable verrou face au bloc communiste. Depuis l’accession au pouvoir de ce voyou sorti
      de son ruisseau, Erdogan, les choses ont bien changé en Turquie (finie l’éradication de l’islam voulue par Mustapha
      Kemal Atatürk).

  4. Excellent article. Quand donc les naïfs de l’UE comprendront ils qu’ils sont les dindons de la farce américaine ? En fait ils comprennent très bien. Madame Merkel savait très bien que son téléphone était écouté. Mais voilà ! Ils en croquent à tous les étages ….. et pas seulement du Qatar.

  5. Si ce sont bien les U.S.A., et il semble bien que des médias très autorisés le confirment, il faudrait savoir si les U.S.A. sont nos Alliés Oui ou Non, et qui leur a donné l’autorisation de détruire ce gazoduc sans réunion de tous les Etats Major ? ! ! !
    L’O.T.A.N. sous commandement militaire des U.S. c’est casse pipe. Autant ! réduire encore nos frais terrestres militaires, et compter sur les U.S. pour faire tous leurs caprices….
    Intervenir sur un gazoduc en U.E. c’est pour moi un acte de Guerre….
    U.E. Vassale avec une Impératrice V D L aux Ordres du Drapeau U.S.

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