Rimbaud et Verlaine au Panthéon, car « symboles de la diversité » ?

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Verlaine aurait peut-être apprécié le Panthéon, lui qui, comme Baudelaire, aurait aimé être élu à l’Académie, et qui s’y est présenté en 1893. Mais aurait-il apprécié d’y être comme représentant des homosexuels ? Et Rimbaud, donc ?

La pétition récente de Frédéric Martel accompagnée de la liste des signataires, relayée par France Culture, est édifiante : d’un côté, pour clore le bec à tous ceux qui s’opposeraient, il affirme que le Panthéon doit changer, qu’il faut faire entrer évidemment plus de femmes, des « personnes noires », des « personnes d’origine arabe » et évidemment des « homosexuels ». Et les « personnes d’origine asiatique » encore une fois oubliées ? Conscient du caractère très idéologique – et non littéraire – de ces arguments, il s’empresse, sans craindre la contradiction, de nuancer : « Une personne ne pourra jamais se résumer à sa couleur de peau ou à ses préférences sexuelles. » Donc, ils sont proposés comme « homosexuels », sinon on ne les associerait pas, mais ils ne sont pas que cela… Me voici rassurée. D’ailleurs, Verlaine était bi (comme Colette, tiens, Frédéric Martel n’a pas pensé à elle !) et Rimbaud aussi, probablement. Au fond c’est bien, pour les quotas, deux d’un coup !

Il élimine aussi, négligemment, les actes les plus sombres de Verlaine, qui battait sa femme et son enfant, qui, sur le tard, violentait sa mère dévouée, et je passe sur les coups tirés contre Rimbaud, qui ne firent pas grand mal, mais une rupture, et que notre jeune homme avait peut-être provoqués. Pour Martel, c’est bien ennuyeux, mais pas vraiment un problème ; nous avons tous nos zones d’ombre, n’est-ce pas ? « Aucune vie n’est parfaite » et leur élection aurait « geste d’une portée symbolique considérable », car « ils sont deux symboles de la diversité ». Il en est d’autres dont les errements n’ont pas reçu semblable absolution ! Certes, le mérite littéraire est premier (concède-t-il), mais s’ils n’étaient homosexuels, mériteraient-ils le Panthéon ?

Que dire devant pareils arguments ?

Dire que le Panthéon, après tout, n’est qu’un caveau républicain et qu’y ajouter ces deux-là ne changera rien. Hugo d’accord, il aspirait à être l’image de la France, se drapait dans sa résistance à l’usurpateur, son génie est vaste et unique dans notre littérature, il aimait les femmes et les honneurs, le Panthéon est fait pour lui comme, d’ailleurs, pour ces deux autres, « Voltaire et Rousseau », qu’il réconciliait par la voix de Gavroche.

Dire qu’un seul aurait suffi, Verlaine tant qu’à faire, quasi clochard sur la fin, alcoolique invétéré mais resté poète, ce qui n’est pas le cas de Rimbaud, qui ne s’occupa même pas de la publication des Illuminations et cessa de s’intéresser à la poésie à 22 ans à peu près, pour prendre la route. Ce qui, d’ailleurs, ne rend son génie que plus éblouissant mais le disqualifie pour le Panthéon, auquel toute son inspiration répugne : « La main à plume vaut la main à charrue. – Je n’aurai jamais ma main. » Le panthéoniser serait donc lui imposer un carcan symbolique qu’il n’aurait pu que haïr, Frédéric Martel le sait bien, puisqu’il insiste sur son mépris, sa détestation même de la France. Mais pour lui, ce n’est pas un argument, car détester la France est signe de vraie francité, la rebellitude est signe de génie et nous ne saurions nous attendrir sur « le petit Lyré » de Du Bellay… Imparable ! Combien de braves rappeurs qui « niquent la France » finiront au Panthéon !

Et pour conclure, comme lui-même, Martel, ne croit pas en Dieu, il se moque d’un jugement post-mortem des poètes et ne les voit au Panthéon que pour lui et les quotas, évidemment. Que répondre à un homme qui évacue ce que penseraient les deux intéressés, ce que pense la famille de Rimbaud, mais se prévaut de la signature de ministres de la Culture qui iront porter des fleurs et pleurer des discours émus sur la tombe de nos poètes, de tous ces gens établis, confits dans leurs certitudes et leur bonne conscience, ministres, journalistes, intellectuels divers ?

Si Frédéric Martel gagne, il aura enfin emprisonné « l’homme aux semelles de vent ».

Olga Le Roux
Olga Le Roux
Professeur

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