
L’amphithéâtre de la Cité des Sciences retentit des cliquetis secs et nerveux des ordinateurs. Ils sont venus en nombre écouter le prêche de Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, en cette soirée du 9 février 2016. La conférence, à l’initiative de la fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes, portera sur l’égalité et la question de justice sociale dans les sociétés contemporaines démocratiques.
“Le débat sur l’égalité s’efface alors même que ni la réalité ni les perceptions ne témoignent d’un effacement du sujet.” À l’heure où s’épanouissent de toutes parts « hauts conseils » pour l’égalité, colloques, journées d’études et séminaires sur la question, Gilles Finchelstein, directeur général de la fondation Jean-Jaurès, est inquiet. L’effarement de l’ancienne plume de Pierre Mauroy est aussitôt renchéri par Ersnt Stetter : “Nous, les progressistes, devons être fermes face aux réductions des inégalités. Il faut construire une Europe toujours plus juste ; il faut changer la nature du récit européen”, juge le secrétaire général de la Fondation européenne des études progressistes. L’orateur, membre de la présidence du Parti socialiste européen, en est certain : l’Union européenne était un idéal dans sa lutte contre les inégalités. Il faut fonder des espoirs en sa renaissance, que des attaques populistes ont sévèrement remise en question. La caricature ne manque pas de saveur ; quant au projet de réécriture de notre passé, il ne paraît pas choquer l’assistance, vautrée dans l’entre-soi coutumier, où jeunes étudiantes apprêtées de Science Po minaudent auprès de leurs futurs cadres de banques centrales.
Racolage idéologue lancé, Pierre Rosanvallon s’emploie ensuite à trouver les racines historiques de la lutte contre les inégalités. On passera sur cette longue introduction aux accents devenus familiers. Poncifs de l’égalité institutionnelle, au fondement de « l’école de la République », on rappelle, sans même plus trop s’en montrer convaincu, le principe des « maisons de l’égalité ». Puis le professeur évoque les solutions à adopter pour rendre l’égalité des chances applicable. Trois concepts peuvent permettre son articulation : une reconnaissance fondatrice des singularités (de l’ordre de la relation sociale), un phénomène de réciprocité (reconnaissance d’autrui) et la communalité (l’idée d’être une part active du monde commun). Le verbiage, tout plein de précautions sémantiques fastidieuses, fait l’unanimité : les étudiants, soulagés d’avoir tout noté à défaut d’avoir compris, applaudissent à tout rompre.
Fascination d’une égalité érigée en idole… Ce rassemblement, où l’épouvantail de la fracture sociale est brandi en menace inéluctable, aura eu le mérite de contenter une salle ravie de ne jamais se confronter à la contradiction de leurs inébranlables idéaux. En somme, « n’ayant pas la force d’agir, ils dissertent » (Jean Jaurès).
Cette idolâtrie pour l’égalité est poussée jusqu’à l’absurde : jeudi, nous apprenions la création d’un improbable secrétariat d’État à l’Égalité réelle…
13 février 2016