Pourquoi parler du putsch des généraux à Alger, soixante ans après ?

Putsch d'Alger

C'était il y a soixante ans, dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 : quatre généraux français s'emparent d'Alger avec des légionnaires et des parachutistes, une des dernières tentatives pour maintenir l'Algérie française. C'est le « putsch des généraux ». À quoi bon, direz-vous, raviver l'indignation des uns ou la nostalgie des autres par le rappel de cet événement ? Ne vaut-il pas mieux l'oublier ?

« Un quarteron de généraux en retraite […], un groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques » : ce furent les mots peu amènes du général de Gaulle pour les désigner, dans un discours mémorable à la radio et à la télévision, le dimanche 23 avril, à 20 heures. Cinquante ans plus tard, le journal L'Humanité saluait encore cette « heureuse formule », ajoutant, pour surenchérir, les termes de « forfaiture » et de « mutins ».

Maurice Challe, André Zeller, Edmond Jouhaud, Raoul Salan, parmi les plus brillants de l'armée française, gagnèrent leurs cinq étoiles et leurs décorations sur les champs de bataille, participèrent à toutes les campagnes, y compris à la Résistance. D'autres généraux, moins connus, les rejoignirent, et de nombreux colonels, qui avaient combattu en Indochine : Antoine Argoud, Yves Godard, Jean Gardes, Charles Lacheroy, Joseph Broizat, et bien d'autres encore. Le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, à la tête du 1er régiment étranger de parachutistes, rallia aussi le mouvement.

Ils n'avaient rien à gagner, sinon d'être honnis par l’opinion publique. Ils avaient toujours obéi aux gouvernements de la France. Ils avaient aussi une qualité, qui fait défaut aux politiciens : la fidélité à la parole donnée. Ils crurent de Gaulle quand il lança à Alger, le 4 juin 1958, le fameux « Je vous ai compris », annonçant qu’« à partir d'aujourd'hui, la France considère que, dans toute l'Algérie, il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants : il n'y a que des Français à part entière ». Ils se battirent pour cela, comme on le leur ordonnait, promirent aux populations de ne jamais les abandonner.

Il était, sans doute, utopique de vouloir garder l'Algérie à la France ; mais les conditions dans lesquelles l'indépendance lui a été donnée sont objectivement scandaleuses. Peut-on, d'ailleurs, parler d'indépendance pour un État qui n'existerait pas sans la France ? Le général de Gaulle lui-même reconnaissait que « depuis que le monde est monde », il n'y a jamais eu d’« État algérien ». On a fait cadeau de l'Algérie au FLN, qui a accaparé le pouvoir.

Peut-on reprocher à ces officiers, à ces soldats qu'on a qualifié de « perdus », aux civils qui les ont rejoints, d'être restés fidèles à leurs convictions, d'avoir cru qu'on pouvait conserver l'Algérie dans la France ou nouer avec elle des liens privilégiés de coopération ? Le commandant Hélie de Saint Marc a tout dit quand il déclara à son procès : « On peut beaucoup demander à un soldat. On ne peut lui demander de se dédire, de se contredire, de mentir, de tricher, de se parjurer. » Ces soldats ont tout perdu fors l'honneur.

Le putsch d'Alger ne doit pas être oublié, fût-il un combat désespéré qui n'avait aucune chance d'aboutir. Pourquoi en parler aujourd'hui ? Pour les rapatriés, pour les harkis honteusement abandonnés à leurs bourreaux, pour tous les disparus, pour le peuple algérien lui-même, qui méritait mieux que la clique qui le gouverne. Tout simplement, au nom de la vérité.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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