Il est des pays où il fait bon vivre ; sous certaines conditions. Voyez le Qatar, ce royaume des mille et une nuits dont l’émir quarantenaire, Tamim ben Hamad Al Thani, peut se reposer sur un confortable tapis de plus de 2,5 milliards de dollars de fortune personnelle, tout en contemplant sa plaque de grand officier de la Légion d’honneur pour services rendus à la patrie des droits de l’homme…

On le sait passionné de sport ; son amour de la France et du bleu, blanc, rouge a fait de lui l’actionnaire unique du PSG, dont le Qatar est devenu propriétaire en 2012 par le biais du fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA). Il a aussi pu acquérir en France, au-delà des nombreux palaces et d’investissements immobiliers, deux gigantesques propriétés où il séjourne régulièrement, à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, et à Marnes-la-Coquette, dans les Hauts-de-Seine. De quoi distraire ses trois épouses et sa ribambelle princière au pays du « disciple impur » de Brigitte Trogneux, selon les propos mêmes de son cousin, après que notre Président eut appelé à lutter contre les fanatismes, en octobre dernier.

Position intenable d’un « en même temps » droit-de-l’hommiste impuissant face à l’islam conquérant sponsorisé par les Émirats en Europe même ; et contraint aux réalités économiques de la finance. Car, entre la France et le Qatar, c’est d’abord une histoire de gros sous, et donc celle d’un renoncement moral. Il s’agit de notre troisième client parmi les pays du Proche et du Moyen-Orient, derrière l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ; le 33e à l’échelle mondiale et notre quatrième excédent commercial (données de 2018). Les besoins du Qatar en biens d’équipements et de consommation français « demeurent par ailleurs importants du fait de l’avancement des grands projets d’infrastructures liés à la Coupe du monde de football 2022 », concluait, en février 2019, un rapport de la direction générale du Trésor. Une manne épineuse !

Car, selon une enquête du très britannique Guardian, depuis l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2022 au Qatar, 6.500 travailleurs migrants au moins seraient morts dans les chantiers de construction des infrastructures devant accueillir la lucrative compétition. Depuis 2010, « en moyenne 12 travailleurs migrants de ces cinq nations d’Asie du Sud sont morts chaque semaine », explique le journal. Chiffres glaçants, si l’on peut dire ! Et sans doute sous-évalués, puisque les Philippins, les Kényans, etc., ne sont pas ici pris en compte, et bien que le Qatar n’ait admis que la mort accidentelle de 37 travailleurs migrants.

Un coup dur pour notre partenaire économique. Et peut-être aussi pour certains de nos dirigeants et investisseurs impliqués dans l’attribution de la compétition à l'émirat. Le porte-parole de la FIFA a aussitôt sorti le parapluie : « Grâce aux mesures très strictes en matière de santé et de sécurité sur les sites [...], la fréquence des accidents sur les chantiers de la Coupe du monde de la FIFA a été faible par rapport à d'autres grands projets de construction dans le monde. » Rappelons à ce ravi que le Qatar est connu pour sa grande discrimination entre les citoyens du pays et les expatriés zonaux qui y travaillent : syndicats non autorisés, pas de barèmes de rémunération, application de la kafala islamique, qui accorde aux « parrains » des droits discrétionnaires sur leurs employés, etc.

Aussi, après que les joueurs norvégiens, opposés mercredi soir à Gibraltar pour leur premier match de qualification à la Coupe du monde, ont dénoncé cette hécatombe à leur entrée sur la pelouse en arborant un T-shirt floqué de l'inscription « Droits de l'homme, sur et en dehors du terrain », la FIFA a annoncé, ce jeudi 25 mars, qu'elle ne sanctionnerait pas la fédération scandinave. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Or, après la Norvège, l’équipe d'Allemagne a mis les pieds dans le plat humanitaire. Les joueurs des Pays-Bas s'apprêtent à dénoncer aussi les conditions de travail des ouvriers sur les chantiers des stades qataris.

Ce samedi, à la veille de son match de qualification face au Kazakhstan, le capitaine de l’équipe de France Hugo Lloris a jugé que les messages de protestation des équipes de Norvège et d’Allemagne contre le Qatar étaient une bonne chose. Et ses coéquipiers donneurs de leçons d’humanisme, qu’en pensent-ils ? Et notre Président ? Bon, en même temps…

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28 mars 2021 à 12:22

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