Dans la France sous tensions, un groupe de plusieurs centaines de personnes rapides, agiles et vêtues de blanc sème la panique. On les appelle les White Blocs. Ce sont des militants de l’extrême droite radicale, reconnaissables aux habits blancs dont ils se couvrent de la tête aux pieds, foulards, cagoules masquant leurs visages. Après avoir cassé, molesté, frappé dans les grandes villes, après avoir détruit des vitrines, brûlé des poubelles et des voitures, ces militants armés très dangereux se sont enhardis. Ils se sont réunis dans un petit village français proche de Poitiers, à Sainte-Losine, où l’État prévoit d’installer un camp de migrants. Ces migrants travailleront pour la cueillette au profit des grands agriculteurs locaux. Bien sûr, la manifestation des redoutables White Blocs a été interdite par une préfecture aux abois. On a mobilisé contre ces fanatiques incontrôlables et destructeurs plus de 3.000 CRS. Mais, comme on pouvait le craindre, les manifestants se sont surpassés. Caparaçonnés, entraînés, disposés en tortues romaines derrière leurs boucliers, ils ont donné l’assaut face aux gendarmes qu’ils ont arrosés de pierres et de cocktails Molotov. Ils ont brûlé les véhicules des forces de l’ordre et en ont blessé pas moins de 47. À leurs côtés, certains élus, l’écharpe tricolore en bandoulière, ont témoigné dans les médias de la violence et de la haine… des gendarmes !

Évidemment, dans la France si attachée à la démocratie et aux droits de l’homme, le spectacle de ces hordes blanches à l’assaut des forces de l’ordre a tétanisé la population. À circonstances exceptionnelles, information exceptionnelle. Dans tous les grands médias, le reste de l’actualité a été oublié. Les faits sont trop graves.

Le soir de la manifestation, sur le plateau de TF1, le présentateur du JT Gilles Bouleau, vêtu pour l’occasion d’une cravate noire, annonce une soirée exceptionnelle consacrée aux événements inédits de Sainte-Losine. Un premier reportage montre, sur le terrain, la violence de ces bandes, dans un climat de fin du monde. Un deuxième sujet montre à quel point ces milices sont prêtes à tout. Interviewé, la capuche de son sweat-shirt blanc rabattue sur les yeux, un White Bloc reconnaît qu’il n’est pas là pour faire vivre le débat démocratique : « On pourrait dire qu’on utilise des modes d’action radicaux, explique-t-il. Effectivement, on vient pour casser, si c’est la question. » Et il poursuit : « Moi, je considère que c’est le seul mode d’action qui permet de faire parler, qui fait peur au pouvoir. Une force en face de la force policière. » Les Français tremblent de peur. Ils ont raison.

Un troisième sujet montre les condamnations unanimes de la classe politique, de la gauche à la droite. L’indignation est à son paroxysme. Le chef du service politique de TF1 résume l'enjeu : c’est un défi à la démocratie, un défi à la France, un discrédit sans précédent porté à l’image du pays, une tache indélébile que la mobilisation des élus peinera à faire oublier. Enfin, invité exceptionnel, Robert Badinter répond aux questions et laisse tomber, du haut de sa stature morale, une condamnation vigoureuse : « Toute ma vie, je combattrai la violence, les ennemis de la démocratie, les nervis de ce fascisme sans cesse renaissant. »

Sur France 2, Jean-Luc Mélenchon appelle, au même moment, à une manifestation nationale qui se rendra de la place de la Bastille à la place de la Concorde. Dans les heures qui suivent, tous les partis se joignent à lui. Sur TMC, Yann Barthès décide de conserver l’antenne toute la nuit pour évoquer les mobilisations.

Car, dans la société civile, les initiatives se multiplient : les vendeurs de prêt-à-porter, à l’appel de leur syndicat, retirent de leurs rayons tous les vêtements blancs. Bernard-Henri Lévy, dans une séance magnifique face aux caméras, a déchiré sa chemise blanche, faisant sauter les boutons pour la lancer à terre et la piétiner, torse nu. Soudain, l’antenne des chaînes d’information quitte BHL et bascule à l’Élysée pour une intervention spéciale du Président Macron.

Avec des mots qui font honneur à la langue française et à l’esprit de liberté, Macron dénonce les faits, les actes, les personnes et pose la question, la seule question qui vaille : comment en est-on arrivé là ?

Les animateurs s’apprêtent à poser cette question à leurs invités de plateau lorsqu’il faut, à nouveau, basculer. Car le président des États-Unis s’alarme. Devant la Maison-Blanche, Joe Biden dit, en quelques mots simples, à quel point on a dépassé ce que peut accepter le monde libre. Il exprime sa solidarité avec le peuple français qu’il refuse de confondre avec les White Blocs. Dès le lendemain, l’ONU assure le président de la République française de son soutien et annonce une série de sommets pour « éradiquer » la « peste blanche » de la surface du monde libre. Avec trois jours de retard, le temps de mettre l’Allemagne d’accord avec l’Italie et l’Espagne, Ursula von der Leyen tient les mêmes propos. L’affluence à la grande manifestation sur les Champs-Élysées s’annonce massive, avec de nombreux renforts venus de l’étranger. Les manifestants le déclarent : ils sont prêts à tout, à braver les White Blocs, les pickpockets du Stade de France et même les rats d’Anne Hidalgo pour se solidariser avec ces Français défiés dans leur identité. Les migrants de Sainte-Losine défileront en tête du cortège. On brûlera symboliquement la chemise de BHL et les vêtements blancs offerts par les magasins dès l'arrivée du cortège sur la place de la Concorde. On égrainera au micro le nom des gendarmes blessés dans un silence sépulcral. Une jeune élève de l'école de Sainte-Losine, venue tout exprès à Paris, chantera seule au micro le titre célèbre de Marie Myriam « Comme un oiseau aux yeux de lumière ». Les manifestants se serreront la main en écrasant une larme.

Pendant ce temps, la police accélère. Quelques heures après les faits, elle mène des descentes au domicile des militants des White Blocs pour les interpeller. Les élus présents à la manifestation ont été immédiatement incarcérés. L’Assemblée nationale réunie en séance exceptionnelle a voté des lois ad hoc à l'unanimité pour accélérer les procédures. Dans le malheur, la France semble unie, enfin !

Réunis à Moscou pour négocier des contrats de gaz, Vladimir Poutine et Xi Jinping rigolent. Eux le savent : les White Blocs n'existent pas. Et face aux Black Blocs, leur exact contraire, la France ne bougera pas.

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31 mars 2023 à 19:44

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25 commentaires

  1. L’humour ( même un 1er avril) n’est pas toujours apprécié ces temps ci dans notre bonne vieille France , nos amis de Valeurs Actuelles en savent quelque chose ! Mais soyons rassurés Maitre Badinter ne vous traînera pas en justice pour cette fiction fine et drôle

  2. Même si nous sommes le premier avril, merci pour cette belle fable qui en dit long sur la discrimination politique au plus haut niveau.
    Merci monsieur Baudriller !!

  3. Quel jour sommes-nous donc ? le 1er avril… Poisson d’avril ! Bravo. Elle est excellente.

  4. Si un jour cela arrivera, allez savoir, le français fera comme d’habitude l’autruche, la tête dans le sable, vu son grand courage.

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