On entend dire assez de mal de Jean-Michel Blanquer pour savoir reconnaître quand il a raison. Invité de Jean-Jacques Bourdin, sur BFM TV, ce jeudi matin, il a surtout évoqué les mesures prises, dans les établissements scolaires pour lutter contre l'extension du coronavirus. Interrogé, à la fin de l'entretien, sur l'attribution du César du meilleur réalisateur à Roman Polanski, il a osé prendre une position en rupture avec la bien-pensance et recadrer, au passage, Frank Riester.

Sans nier la gravité des actes commis, dans le passé, par le réalisateur de J'accuse, notre ministre de l'Éducation nationale, sans doute plus cultivé que son collègue, fait la distinction entre l'homme et son œuvre. Citant l'exemple de Chateaubriand, il explique que, même si l'on découvrait qu'il n'était pas exempt de tout reproche dans sa conduite privée, il continuerait de lire les Mémoires d'outre-tombe. Mettre à l'écart un livre ou un film sous prétexte qu'on condamne son auteur, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, c'est « [mettre la main] dans un engrenage terrible » qui conduit à « la censure ». Il rappelle qu'une œuvre, une fois rendue publique, n'appartient plus à son créateur mais au lecteur ou au spectateur. Il répète qu'il est dangereux de « confondre ce qui est du domaine de l'œuvre et ce qui est du domaine de la personne ».

On ne peut que se réjouir de ces propos de bon sens, tenus par un ministre du gouvernement dont la fonction est d'instruire les enfants et de leur apprendre à penser par eux-mêmes, en se libérant des préjugés. Si l'on admet la confusion entre l'homme et l'œuvre, on devrait refuser de lire Aragon parce qu'il a soutenu le Parti communiste, dans ses heures les plus sombres, tardant à reconnaître les crimes de Staline ; proscrire des bibliothèques Louis-Ferdinand Céline parce que l'auteur du Voyage au bout de la nuit a également écrit des livres antisémites ; ne jamais prononcer le nom de Robert Brasillach, fusillé à la Libération, bien qu'il ait écrit des romans admirables tels que Les sept couleurs, Comme le temps passe ou Le marchand d'oiseaux, et que sa critique littéraire soit encore d'actualité. Et bien d'autres encore.

Interrogé sur les déclarations de son collègue Frank Riester, ministre de la Culture, qui a sévèrement critiqué le prix attribué à Roman Polanski, Jean-Michel Blanquer a courtoisement expliqué son désaccord, indiquant par euphémisme qu'« on peut avoir des nuances » entre ministres. Il ne pouvait aller aussi loin que Pascal Bruckner, pour qui Frank Riester « s’est transformé en ministre de la censure », ni pratiquer l'ironie de Françoise Chandernagor, une des trois femmes membres de l’académie Goncourt, qui s'est interrogée sur « son degré de compétence en matière artistique » : mais il a transgressé les tabous de la pensée unique.

On peut regretter que l'indépendance d'esprit, dont il a fait preuve en cette circonstance, sa volonté d'échapper à la dictature de la bien-pensance ne soient pas toujours présentes dans l'action qui relève de son domaine de compétences. Un ministre est, étymologiquement, un « serviteur » de l'État, il ne peut être, sans se compromettre, aveuglément au service de la politique présidentielle.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 08/03/2020 à 12:17.

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05 mars 2020 à 16:35

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