[POINT DE VUE] La grande méfiance de la nation à l’égard de la Justice de la République

Le mystère du sondage disparu. Dès le 20 avril 2025, divers journaux et sites (Le Figaro, Dernières Nouvelles d’Alsace, Causeur, Le Dauphiné, Le Progrès, etc.) faisaient état d’un sondage évoquant, une fois encore, l’opinion très négative des Français à l’égard de leur Justice. Si le résultat est tristement édifiant, la formule reprise dans tous les médias est curieuse : « Le Conseil national des barreaux (CNB) vient de finaliser, avec l’IFOP, un sondage sur la confiance des Français dans la Justice. » Or, il est impossible de trouver trace de ce sondage et de sa méthode, ni sur le site du CNB, ni sur celui de l’IFOP. L’auteur de ces lignes a écrit plusieurs fois aux deux organismes concernés. Mutisme : le sondage a disparu !
Pour les lecteurs qui ne le sauraient pas, le CNB, qui a commandité ce sondage, est l'organisme national qui représente les 75.000 avocats inscrits dans un des 164 barreaux français : une forte représentativité, mais une voix en général discrète et mesurée. Interlocuteur des pouvoirs publics, le CNB participe à l'élaboration des règles professionnelles et il intervient aussi sur les questions relatives au droit et à l'institution judiciaire. Toutefois, il existe désormais une guerre au grand jour de certains magistrats contre les avocats (ce qui est déplorable) et le CNB a réagi par une résolution de son assemblée générale du 17 janvier 2025 « dénonçant des attaques inacceptables (et ouvertes, de quelques juges) à l’encontre de la profession d’avocat ». Ambiance...
Seulement 48 % des citoyens font encore confiance à la Justice française
Que révélait, selon les médias, le sondage disparu ? Que seulement 48 % des citoyens font encore confiance à la Justice française. Or, ce sondage n’est pas le premier mauvais sondage sur la Justice. Déjà en juillet 2022, 73 % des personnes interrogées par l’IFOP estimaient que « la Justice fonctionne mal », rejoignant les constatations du rapport de Jean-Marc Sauvé, en conclusion des États généraux de la Justice lancés en novembre 2021 par Emmanuel Macron. Ils n’étaient que 37 %, avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, mais en novembre 2024, selon un sondage CSA pour Europe 1, CNews et le JDD, 65 % des Français pensaient que la Justice est partiale. Après le sondage d’avril 2025, la présidente du CNB, Me Julie Couturier, a déclaré que la confiance des Français en leur Justice est historiquement basse et « s’est totalement effondrée depuis 2008, quand 63 % des citoyens déclaraient lui faire confiance, pour atteindre aujourd’hui péniblement 48 % ». Soit une chute de 15 points en 17 ans.
Les réactions des tenants du système
Alors que le sondage n’a toujours pas été rendu public (le sera-t-il un jour ?), les prises de position officielles se succèdent. Les Dernières Nouvelles d’Alsace rapportent les propos de Christophe Soulard, Premier président de la Cour de cassation, pour qui tout ne serait qu’une question de « pédagogie » (sic) pour faire évoluer les mentalités sur le fonctionnement de l’institution : « De plus en plus d’efforts sont réalisés pour expliquer les décisions de justice », sans pour autant « se faire trop d’illusion sur la pédagogie » (sic). Dans Le Dauphiné libéré, c’est Mme Guigou, ancien garde des Sceaux, qui monte en ligne. On nous fait savoir que la « montée du populisme en France annihilerait toute réflexion en profondeur et volonté de comprendre la complexité du système judiciaire (sic), car contrairement au peuple souverain, les magistrats n’auraient aucune légitimité ». Membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), l’ex-ministre socialiste ajoute : « Cette idée de "gouvernement des juges" est une fable, sauf qu’elle prend aujourd’hui dans des milieux qui devraient résister. » Mme Guigou n’est pas juriste mais elle contredit ce que publient, depuis des années, plusieurs renommés professeurs de droit à l’université. Pour elle, « la démocratie, ce n’est pas seulement le vote. Tous les dictateurs et autocrates sont élus. La démocratie, c’est l’État de droit. Il nous protège contre l’arbitraire. » L’État de droit certes, mais le sujet du sondage était : est-ce que la Justice en est encore garante ?
Pourquoi tout cela est-il gravissime ?
Les maux de la Justice sont perçus par tous, citoyens et acteurs judiciaires : laxisme pour certains délinquants et politisation de certains magistrats (affaire du « mur des cons », condamnations perçues comme éliminatrices contre certains politiques) ; et parfois même la corruption : magistrats et avocats honnêtes le savent bien. Même si on admettait la thèse de Mme Guigou, la simple perte de confiance dans l’État de droit est un mal mortel pour une société. Par-delà le baratin, il faudra en guérir au plus vite la République par des gestes institutionnels très forts, comme cela a été fait en d’autres pays (ainsi au Canada). Car « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 16). La dégradation de la démocratie en continu, l’explosion de la société sont inévitables et nul ne peut en prévoir l’ampleur : « Il est essentiel que les droits de l'homme soient protégés par un régime de droit pour que l'homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression » (Déclaration universelle, ONU, 1948) : l’injustice de la Justice est une cause de révolution.
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57 commentaires
Sujet compliqué dans la mesure où bien des aspects de ce dont on parle sont « faussés » dès le départ. Déjà , ce mot de « justice » que je n’emploie jamais en l’espèce. Administration ( judiciaire ) me semble plus approprié. On a tendance à dire : » on attend ce que va dire la justice » ( comme s’il s’agissait d’une sentence divine, alors qu’il s’agit beaucoup plus d’une décision de l’administration ( judiciaire ). Pour des bricoles évidentes, indéniables _ avec témoins etc _ j’ai à peu près confiance. A part ça, pas beaucoup ( et encore, j’arrondis les angles ). Ce n’est même pas la faute d’un tel ou d’un autre, mais d’un système ( et, pour ce que j’en ai vécu en tant que plaignant, d’un esprit de système et _ à l’époque / aujourd’hui, j’ignore ce qu’il en est_ ainsi que de connaissances ( personnes qui se connaissent bien et ont l’habitude de se voir souvent_ les exemples sont multiples, naguère en tous cas ) qui ne devraient jamais influer sur le cours des décisions… de « justice ». Hélas, je suis sûr de moi.