[Point de vue] Est-on obligé de soutenir Charlie Hebdo jusqu’au bout ?

Je_suis_Charlie,_Paris_11_January_2015_(3)

Pour « soutenir la lutte des Iraniens qui se battent pour leur liberté, en ridiculisant ce chef religieux d’un autre âge [l’ayatollah Khamenei], et en le renvoyant dans les poubelles de l’Histoire », Charlie Hebdo a lancé, en décembre, un grand concours de caricatures. Les trente dessins lauréats sont parus ce mercredi sous le titre « Les dessinateurs flanquent une raclée aux mollahs », dans un numéro commémorant les attentats du 7 janvier 2015.

En double page de une, une femme nue allongée cuisses ouvertes regarde les mollahs en file indienne lui entrer dans le vagin, avec ce titre : « Mollahs, retournez d’où vous venez. »

Dans la France d’autrefois, le papier journal finissait découpé en feuilles au fond des toilettes. Ou chez le marchand de légumes qui y enveloppait les poireaux et les carottes. On s’en servait aussi pour nettoyer les vitres, il paraît que ça marchait mieux que tous nos produits coûteux. Bref, ça finissait dans la poubelle après s’être rendu utile : l’information et le bon usage pratique.

L’original, avec Charlie Hebdo, c’est que ça commence par la poubelle. C’est sa marque et sa philosophie.
Dans un perpétuel registre caca-bite-couille antireligieux, le journal « dégueule » depuis toujours sur le monde qui l’entoure ; c’est sa fonction, c’est même pour cela que ses créateurs l’ont porté sur les fonts baptismaux. Que dis-je : surtout pas les fonts baptismaux ! Ou alors pour une cérémonie devant le crucifix renversé, histoire de se chatouiller les neurones de la provocation sélective. En France, c’est son droit, c’est aussi son fonds de commerce. Il y a une clientèle pour et je n’en suis pas : comme le disait Gabrielle Cluzel sur CNews, on n’est pas obligé d’aimer la vulgarité.

Jusqu’à ces dernières années – 2015, exactement –, j’ignorais Charlie Hebdo et je m’en portais bien. De temps en temps, la une me sautait à la figure à la devanture d’un kiosque à journaux, entre deux couvertures de bimbos mamelues, mais bon… comme dit plus haut, il y a une clientèle pour.

Et puis est arrivé le massacre qu’on sait. Nous avons alors été des millions à descendre dans la rue : Charlie était devenu la figure du martyre. Suis-je pour autant devenue Charlie, comme on a absolument voulu nous le faire dire ? Non. Je ne suis pas Charlie, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Mais pour autant, hélas, les retentissements de la politique systématiquement provocatrice de ce magazine vont peser sur notre vie à tous.

Il n’est pas interdit à un directeur de publication, avant de se faire plaisir, de songer aux conséquences de ce qu’il publie. On me dira que baisser son froc devant les mollahs (je fais du Charlie), c’est tomber dans la soumission, dans la compromission avec l’ennemi. Que rien ne peut entraver notre sacro-saint droit au blasphème, qu’à cela il n’y a pas de limites, etc.

La seule question intéressante est celle-ci : la publication de nouvelles caricatures obscènes va-t-elle améliorer le sort des femmes iraniennes ? Est-elle de nature à pousser au renversement des mollahs ? Non. En revanche elle va pourrir davantage la vie de nos enseignants, nécessiter la protection accrue de lieux et de personnalités et, c’est à craindre, armer peut-être la main de nouveaux égorgeurs qui multiplieront les « Samuel Paty », comme ils disent.
La France est aujourd’hui haïe dans nombre de pays, essentiellement musulmans. Des pays où ses soldats se font tuer dans un combat que ce dernier numéro de Charlie Hebdo va réduire à néant. C’est toute la différence entre le terrain et la guerre qu’on mène le cul sur sa chaise devant un écran.

Dernier point : dans notre monde où il faut désormais surveiller chaque mot pour ne pas froisser le genre, le non-genre ou la couleur racisée de celles-zé-ceux qui lisent ou écoutent, ne serait donc plus autorisé que le blasphème ?

NDLR : Vous pouvez participer au dernier sondage de BV sur ce sujet.

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

34 commentaires

  1. Faut-il que cette idéologie soit faible pour se sentir menacée par des petits dessins stupides, vulgaires et médiocres…

  2. Je ne suis pas Charlie, toutefois il faut toujours se souvenir de la différence entre l’Esprit et la Lettre! Lorsque ce journal, dit satirique, s’en prend au christianisme, les curés, les pasteurs n’assassinent personne, ne menacent personne et dès qu’il s’agit de l’islam on biaise et on cherche des excuses! Pourquoi faut-il protéger nos enseignants, pourquoi nos soldats meurent-ils dans des guerres inopportunes? L’Etat français est responsable, c’est lui qui a laissé la situation dégénérer en ne mettant pas les poins sur les i vis à vis de la population musulmane, en laissant la France être submergée par une immigration sauvage§ Bien sûr je ne conteste pas que Charlie est en permanence dans la provocation, c’est pourquoi je n’ai jamais lu, ni même ouvert, un seul numéro!

  3. Le plus commode, c’est de blasphémer la chrétienté : Dieu ne peut pas porter plainte devant les tribunaux !

  4. La vulgarité est criticable, mais pas quand elle combat les restrictions des droits humains. Dans le cas présent il s’agit bien de combattre des religieux, qui décident de la vie et de la mort en fonction de la soumission ou non à des principes dogmatiques, qui ne tiennent aucunement compte de la liberté de penser. S’accommoder de ces principes, même sous prétexte d’empêcher les évènements de d’envenimer, c’est commencer à se soumettre.

    • « c’est commencer à se soumettre… »
      Certes, mais quand on n’est pas menacé, on ne se trouve pas en état de soumission potentielle. Ensuite, provoquer, c’est s’exposer à une réaction. Et, tout le monde sait aujourd’hui que certaines « réactions » ne passent pas par la case justice. Sachant cela, chacun fait comme il l’entend.

  5. Non …si plus jeune j’ai aimé ce journal parce qu’il me faisait rire ..j’avoue que à cela devient un peu Too much …
    J’ai lu le beau livre « Le lambeau  » …ce fut mon dernier vrai soutien à Charlie …mainetnant je garde une distance …

  6. Que l’on aime Charlie ou non, Charlie a été, est, et restera la preuve que la liberté d’expression à la Française « chimiquement pure » existe, et justement parce qu’elle est lourde de conséquences, elle est admirable. On a le droit de trouver vulgaire ces dessins. Personnellement j’aime, mais je comprends qu’on ne soit pas de cet avis, Surtout, là n’est pas la question. Il faut laisser à Hanouna le « j’aime / j’aime pas », en bref, on s’en fout un peu.

    Charlie n’est pas un club de diplomates experts en géopolitique. Chacun son métier, la satire en est un, et c’est à travers cet exercice que des pépites de cette fameuse liberté brillent et en inspire plus d’un.
    Notre société est bousculée tous les jours et manque probablement de repères. L’application bien concrète de cette conception de la liberté est salutaire et si on en vient à peser le pour et le contre de ces publications, les bénéfices dominent très largement. Ils réaffirment qui nous sommes. Pas si mal déjà, sachant que l’on se noie progressivement dans la question « d’où venons nous », et en lisant votre article, « où nous allons » devient plus anxiogène…

    D’ailleurs sur le thème de l’identité chère à Cnews et ses affiliés dont vous faites partie, je n’ai pas vu beaucoup de débats enflammés chez les Pros sur ce sujet. Mettons ça sur le compte de la saturation de notre système de santé reportant les opérations d’augmentation de gonades masculines. Peu ont les pastèques qu’il faut je trouve en ce moment sur cette chaîne et encore moins ailleurs.

    Votre article le prouve, on oublie vite que même le cul sur une chaise, certains ont perdu la vie et d’autres continuent de la risquer de cette façon en France.

    Alors, gloire et longue vie à Charlie ! Un max de nouveaux abonnés pour eux.

  7. Que chacun prenne ses responsabiltés, charlie hebdo cherche le bâton pour se faire battre et pourtant je sui pour la liberté de penser et totalement contre la « prison des esprits », y compris religieuse et politico-religieuse ! Alors qu’ils assument,
    Au fait ou en est-on de l’héritage financier de charlie-hebdo et des querelles bougrab-pelloux ?

  8. Le blasphème quel qu’il soit, n’est pas de la liberté d’expression, mais de la provocation.
    Il ne fait rien avancer, et n’apporte rien d’autre que de la haine, de la violence et des morts.

    • Oui mais pour certains, dire « je crois que Dieu n’existe pas », c’est un blasphème passible de mort !

  9. La réponse est OUI!
    On soutient le droit de moquer, de critiquer et d’insulter une croyance donc une IDEOLOGIE. Ceux qui ne le sont pas, sont pour les islamistes et les anti liberté car ils veulent le retour au blasphème donc a justifier la mort ou la condamnation de gens qui ont le droit de donner leurs opinions et donc d’exprimer leurs opinions.

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