Plainte contre le magazine Le Point : Erdoğan veut museler la presse française !
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Il ne fait pas bon, en Turquie, de critiquer Erdoğan : des ONG accusent, d'ailleurs, régulièrement ce pays d'atteintes à la liberté de la presse. Mais voici que le président turc porte plainte contre un hebdomadaire français, Le Point, pour « insulte au chef de l'État ». Le dernier dossier de couverture représente un portrait d'Erdoğan, surmonté du titre « L'éradicateur », l'accusant de « nettoyage ethnique », avec la question : « Va-t-on le laisser massacrer les Kurdes (et menacer l’Europe) ? »
Son porte-parole, İbrahim Kalın, a, dans un tweet, violemment critiqué la France, « qui a colonisé de nombreux pays africains comme l’Algérie et le Maroc, qui a massacré des milliers de personnes, pratiqué le commerce des esclaves et qui a regardé le génocide au Rwanda. Et un magazine français qui a lancé une calomnie de nettoyage ethnique contre nous ! » Il serait étonnant qu'Emmanuel Macron qui, deux mois avant son élection, lors d’un entretien à la télévision privée algérienne Echorouk, avait condamné la colonisation, la qualifiant de « crime contre l'humanité », proteste contre ces propos.
En revanche, Le Point n'entend pas céder. L'auteur du dossier écrit qu'« il est logique que cela ne plaise pas à Erdoğan. Bien évidemment, nous ne retirons pas un mot de ce que nous avons écrit », concluant par la formule : « L'hubris du maître d'Ankara connaît visiblement peu de limites. Il sera déçu : nous ne lâcherons rien. » Il précise que son reportage sur l'opération menée à l'encontre des Kurdes de Syrie raconte « les exactions, les évictions de populations, la crainte de l'anéantissement » et explique comment « le pouvoir turc a pactisé avec d'anciens de Daech et Al-Qaïda, qui se chargent pour lui des sales besognes ».
Déjà, en mai 2018, une précédente couverture, intitulée « Le dictateur », avait provoqué l'ire des dirigeants turcs. En France, des affiches du Point avaient été arrachées par des militants pro-turcs, des kiosquiers menacés. Le journal avait même reçu des menaces de mort directes.
Le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) s'est déclaré « aux côtés de son adhérent le magazine Le Point, et de toute sa rédaction », dénonçant, « dans un contexte où des centaines de journalistes turcs sont menacés ou privés de liberté sans autre forme de procès en Turquie, [...] cet acte qui, au mieux relève d’une procédure bâillon, au pire d’un véritable acte d’intimidation en vue de tarir tout discours critique sur le régime du président Erdoğan ».
S'il est normal que la presse soit solidaire pour défendre la liberté d'expression – encore que des journalistes souhaiteraient qu'Éric Zemmour ne pût pas exprimer librement ses opinions –, il serait opportun que notre gouvernement réagît. À défaut de Macron, qui pourrait être tenté de répondre, comme pour le voile dans l'espace public, que ce « n'est pas [son] affaire », le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères pourrait au moins convoquer l'ambassadeur de Turquie.
Il est vrai que la France entretient avec ce pays de l'OTAN des relations ambiguës. Tenue par l'accord UE-Turquie sur les flux migratoires de 2016, largement financé par les contribuables, elle subit le chantage d'Ankara qui menace régulièrement de laisser passer des réfugiés. Quand on cède au chantage, quand on se fie à un « allié » dont on devrait se méfier, on perd son indépendance, sa capacité d'action et sa crédibilité. Il ne reste plus à Macron qu'à jouer le matamore et être la risée sous cape des autres pays. C'est toute la politique internationale qu'il faudrait changer !
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