L'affaire Kohler a été classée sans suite. Conséquence de l'intervention directe d’Emmanuel Macron auprès du parquet financier, comme le révèle Mediapart ? Quelle est cette tactique du « en même temps » du chef d'État décidé, par ailleurs, à faire toute la lumière sur l'indépendance de la justice dans l'affaire Fillon...

Réaction de Philippe Bilger au micro de Boulevard Voltaire.

On apprend qu’Emmanuel Macron aurait éventuellement couvert son secrétaire général en envoyant une missive au parquet national financier qui aurait classé l’affaire. Que doit-on penser de cette révélation explosive ?

J’ai été très attentif à cette affaire dont j’ai lu l’essentiel sur Mediapart. Essayons d’imaginer que, par exemple, Nicolas Sarkozy ait agi de la même manière lors de son quinquennat avec son secrétaire général. Il est évident que tout le monde aurait poussé des hauts cris, et moi le premier.
Si, en effet, les investigations initiales étaient accablantes comme le prétend Mediapart, cette note adressée par le Président à Alexis Kohler qu’il a évidemment remise aux enquêteurs ou au parquet national financier prend une importance toute particulière puisqu’un mois plus tard, la procédure est classée sans suite.
Même si les premières investigations n’étaient pas accablantes et si la note du président de la République n’a pas été l’élément décisif, il y a, dans tous les cas, une intervention discutable d’un Président dans une enquête. Ce Président fait souffler le chaud et le froid en matière judiciaire. On connaît le scandale Fillon sur le plan judiciaro-politique. Il décide de saisir le CSM pour savoir si la procédure a été instruite en toute sérénité et si l’indépendance de la justice n'a pas été battue en brèche. Le 1er juillet 2019, il envoie cette note de service qui, d’une certaine manière, bat en brèche les principes dont il demande l’application.
Il y a là quelque chose d’assez surprenant. Faut-il peut-être accepter que, sur un plan psychologique, ce Président n’éprouve aucune difficulté à se dédoubler, c’est-à-dire demander l’application des valeurs et des principes. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de lui ou de ses auxiliaires immédiats et remarquables dont il a besoin, il n’hésite pas à battre en brèche ces mêmes principes.
Il prend une mesure habile qui, à mon avis, n’aboutira pas à grand-chose. Je ne suis pas persuadé que le CSM, faute de moyens, sera très audacieux, mais il le fait. Pour sauver la mise à Alexis Kohler, qui est tout de même le seul être qu’il trouvait à son niveau, voire plus intelligent que lui, il envoie cette note qui est peu ou prou une immixtion dans une enquête dont il n’aurait pas dû se mêler.
Je suis curieux de voir ce qui va advenir à l’encontre d’Emmanuel Macron, concernant cette maladresse ou, pire, avec ce scandale.

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24 juin 2020 à 14:06

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