Moralisation : il ne suffit pas d’invoquer l’éthique pour faire une bonne loi

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Qui peut être assez bête, assez cynique ou assez suicidaire pour s’opposer à un projet de moralisation de la vie publique, même s’il n’est pas le premier et ne sera sans doute pas le dernier ?

La présentation de cette loi en discussion à l’Assemblée nationale a été maladroite. Comme s’il s’agissait d’incriminer globalement la classe politique en mettant tout le monde dans le même sac.

Par ailleurs, le gouvernement s’est très vite aperçu à son détriment que la pureté est malaisée à trouver et relève parfois d’une recherche désespérée. Il y a des passés emplis d’ombres et des présents sujets à caution. Cette banalité ne devient préjudiciable qu’à partir du moment où le pouvoir qui prétend se camper en parangon de la vertu dans tous les registres est lui-même pris dans des contradictions qui manifestent qu’il n’a pas plus de leçons à donner que ses adversaires.

Il y a loin, de plus, entre l’abstraction d’un texte même le plus honorable et le mieux rédigé qui soit et le débat parlementaire qui va l’enrichir ou le dégrader, en tout cas montrer tous les détails et les pièges qu’une généralité commode avait forcément éludés. Dès l’instant où le projet a été posé sur la table parlementaire sans que la moindre mauvaise foi puisse être imputée aux sénateurs et aux députés, naturellement sont apparus des obstacles, des incohérences, voire des impossibilités qui rendaient le texte de moins en moins opératoire et qui, dans la pratique, auraient empêché les élus d’accomplir correctement leur mission. Il est trop facile de les taxer de corporatisme et d’une défense abusive de leurs privilèges quand, par exemple, pour le remboursement des frais ou la réserve parlementaire (qui va être supprimée comme la réserve ministérielle), la loi n’avait pas su examiner, dans sa rédaction initiale, nombre d’éléments qu’on pourrait lui objecter. Le réalisme n’est pas honteux quand il remet l’idéologie ou la naïveté à leur place.

Le débat à l’Assemblée nationale ne méritait pas non plus, pour des dispositions dont personne ne conteste l’intérêt public, d’être si mal dirigé et présidé. Au risque de les faire tomber dans un ridicule qui leur ferait perdre avant l’heure tout crédit. La fraîcheur de LREM, quand elle se mue, par ignorance, en amateurisme et renvoie à un comportement officiel erratique, ne représente plus un cadeau pour la démocratie. Mais une charge. Paraphrasons Chamfort : c’est un grand avantage de n’avoir rien fait mais il ne faut pas en abuser !

La déplorable conséquence d’un groupe parlementaire à la fois dominant et jamais intelligemment critique, avec un garde des Sceaux qui valide tout au nom d’un progressisme conformiste, est qu’on aboutit à des aberrations ou à des dangers au regard même de l’esprit originel du projet.

Avoir répudié l’obligation d’un casier judiciaire néant, maintenir le verrou fiscal de Bercy – les explications emberlificotées de Bruno Le Maire sur France Info ne changeront rien à ce blocage néfaste – constituent des erreurs graves.

Avoir, en revanche, voté le principe de l’inéligibilité non seulement pour les infractions de caractère économique et financier mais pour des délits relevant de la liberté d’expression représente un danger pour la République. Pour peu qu’un pouvoir asservisse sa justice et ait envie de se débarrasser de gêneurs, il aura à sa disposition, avec cet amendement, de quoi nourrir sa malfaisance.

Il ne suffit pas d’invoquer l’éthique pour faire une bonne loi. Elle est la lumière qui éclaire mais la substance ne dépend pas d’elle.

LREM a le droit de s’arrêter, d’être à l’écoute, de réfléchir, de ne pas mépriser et donc de participer en première ligne à l’élaboration d’un texte essentiel pour une meilleure exemplarité publique.

Pour faire honneur à la majorité qu’elle a reçue du peuple.

(Texte à peine modifié publié par le FigaroVox dans la matinée du 26 juillet)

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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