Mais pourquoi Rokhaya Diallo en veut-elle à Joséphine Baker ?

Capture d'écran ©LCI
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Tout la France réunie, les politiques unanimes - ce qui est assez rare, on en conviendra - célèbrent la panthéonisation de Joséphine Baker. Une seule fait la moue : Rokhaya Diallo.

Si pour elle, comme elle l’écrit dans le Washington Post, Joséphine Baker, « enfin enterrée au Panthéon », « est l'une des figures les plus fascinantes de l'Histoire française du XXe siècle », elle ajoute : « La France ne devrait pas profiter de ce moment pour se féliciter de son traitement des personnes de couleur. »

Dans un long développement, elle déplore que « l’histoire de Baker [soit] souvent utilisée en France pour faire avancer le mythe d'une République prétendument plus accueillante pour les Noirs que ne le sont les États-Unis. »

Et pointe aussitôt un reproche larvé à l'endroit de la panthéonisée : « Alors que Baker dansait sur les scènes parisiennes, la France exposait toujours des populations colonisées dans des “zoos humains”. » Et, plus loin : « Baker a rendu la France belle. » Et Rokhaya Diallo de résumer : « Bien que son héroïsme soit incontestable, elle a toujours exprimé sa gratitude à la France et n'a jamais critiqué son colonialisme. » L’usage de la conjonction de concession « bien que » est très clair : certes, Joséphine Baker a des bons côtés, mais « exprimer sa gratitude à la France », c’est regrettable. Il aurait sans doute fallu panthéoniser une personnalité ayant craché sur le pays. Quel dommage que, dans le cahier des charges, personne n'y ait pensé.

Toujours dans le Washington Post, elle explique par ailleurs que « les performances de Baker faisaient également partie du schéma directeur qui a façonné l'image de la femme noire dans l'imaginaire français ». Et dans L’Obs, elle rajoute : « L’attention portée aux courbes de Joséphine Baker m’indispose. »

« Aujourd'hui, l'image de Baker est tellement aimée que même Marine Le Pen, chef de file de l'extrême droite, la célèbre. » Quelle horreur ! « Et Macron l'a honorée parce qu'elle est un symbole de la position universaliste de la France », déplore Rokhaya Diallo.

Bref, elle ne qualifie pas Joséphine Baker de « native informant » (c'est-à-dire de traître à sa communauté d'origine), mais l’idée n’est pas loin.

Il y a quelques jours, Rokhaya Diallo tweetait fièrement une photo d’elle posant tout sourire à l’avant-première du film House of Gucci dans un « look maison Valentino » (sic) : tailleur noir très court montrant ses jambes, joli jabot de dentelles façon marquis de l’époque baroque.

Rokhaya Diallo devient d’ailleurs une véritable ambassadrice de la marque puisque déjà, en juillet dernier, elle était apparue au Festival de Cannes habillée par Valentino… et chaussée par Louboutin.

Que la maison Valentino ait été rachetée, en juillet dernier, par la famille régnante du Qatar - pays peu réputé pour son aménité envers ses ouvriers africains, et ce n'est rien de le dire... - ne semble pas la perturber. Pas plus qu’il ne lui est venu à l’idée que si Louboutin voulait soutenir Black Lives Matter, la marque de luxe aux semelles rouges aurait gagné en cohérence à fermer sa jolie boutique au Qatar plutôt que de s’afficher à ses pieds ou à ceux d’Assa Traoré.

Avec le green washing - démonstration bruyante d’écoresponsabilité -, il y a le woke washing, pour le versant sociétal. Ces grandes entreprises qui « génuflectent » ostensiblement devant cette nouvelle religion ressemblent aux douairières d’autrefois, décrites avec férocité par François Mauriac : toujours au premier rang à la messe, donnant mille gages bruyants de leur vertu aux notables et au clergé, présidant les jurys de rosières, mais traitant par derrière avec mépris leur bonne, leur jardinier et leur bru.

Rokhaya Diallo juge durement Joséphine Baker. Sait-elle quel regard les générations futures porteront sur elle et sur Assa Traoré, pour s'être laissées utiliser par ces marques ?

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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