Avec Emmanuel Macron, nous avons un prince qui se conseille lui-même. Qu'on apprécie ou non les débuts de sa présidence, il me semble que, au-delà des plans esthétique et politique, personne ne peut nier qu'avec lui l'intelligence est au pouvoir, une certaine qualité de pensée au sommet.

Je veux bien croire qu'il n'a pas, d'emblée, songé à la charge suprême mais il a réfléchi manifestement, dans son passé, comme s'il allait devoir l'assumer un jour. Il suffit pour s'en convaincre de lire un texte qu'il a publié dans la revue Esprit, où "il développe une théorie de l'action politique dans un monde complexe" et plus précisément une analyse du temps juste, celui qui surgirait vainqueur de l'écartèlement "entre le temps long condamné à la procrastination ou à l'incantation et le temps court qui appelle l'urgence imparfaite ou insuffisante".

Il est clair qu'Emmanuel Macron nous offre aujourd'hui une illustration de sa pensée d'hier.

Et que son aspiration au dépassement de la droite et de la gauche orthodoxes ne contredit pas mais concrétise.

Cette étrange tranquillité démocratique qui, malgré les antagonismes partisans continuant d'exister, a apaisé la quotidienneté d'un pays que le quinquennat précédent avait totalement échoué à rassembler explique le sursaut d'une Martine Aubry qui ne comprend plus rien à sa gauche et à une situation qui lui a fait perdre ses repères familiers et vindicatifs. La France n'est plus lisible pour elle. Elle déclare "qu'on a cassé la politique et qu'on ne parle plus de projets, de valeurs..." (RTL). Alors que la lucidité devrait lui enseigner le contraire. On a quitté, pour longtemps j'espère, la politique ancienne de coups, de violences et d'oppositions systématiques. Celle où la partialité de l'idéologie excluait l'appréhension pertinente du réel.

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Le président de la République - qu'on ne s'y trompe pas - n'endort pas le pays. Il ne verse pas une potion douce comme il y avait des potions amères. Ni naïf ni innocent, il se passe d'état de grâce puisqu'une très forte majorité de Français, étonnée, comblée, lui prête de la grâce.

Mais Emmanuel Macron, que je n'ai jamais pris pour une bulle ou un faible avant, n'est pas après un Président mou.

Je suis persuadé que c'est moins la morale en elle-même qui l'exalte - trop au fait déjà, avec sa fulgurante ascension et ses accommodements avec les amitiés, les soutiens et les abandons, des inévitables trahisons de la pureté éthique et des heurts constants d'Antigone avec Créon - mais la conscience que l'action politique a besoin de l'exemplarité de ceux qui l'élaborent et la mettent en œuvre pour être efficace. Son cœur, sa sensibilité sont pragmatiques comme, je le suppose, le seront les évolutions de son programme face aux terrifiantes déchirures que pourrait subir son humanisme de principe.

Malheur aux personnalités, même les plus proches de lui, qui l'obligent ou l'obligeront à quitter la perfection de cette ligne en l'enlisant, lui ou son Premier ministre, dans une cuisine de mauvais aloi.

Tôt ou tard, Richard Ferrand payera une rançon. Qu'Édouard Philippe, en service commandé, ait été tenu de développer en sa faveur une défense convenue à cause d'une affaire immobilière au fort investissement conjugal mais apparemment licite est un accroc dans un univers qui se piquait de constituer un modèle et qui, avec les mille précautions d'usage qui conviennent, ne sera plus perçu comme tel. Un détail qui, précocement, dégrade un peu le tableau de maître, du maître.

La rareté bienvenue de la parole présidentielle, ce prince se conseillant lui-même, oscillant, dans son temps maîtrisé, entre la théorie sur sa pratique et la pratique pointilleuse de sa théorie, n'excluront pas l'exercice solitaire, voire autoritaire du pouvoir.

Mais le citoyen de droite ou de gauche, en marche ou immobile, conservateur ou progressiste, devra être persuadé à chaque minute de ce mandat que cela en vaut la peine. Qu'il est présidé et que c'est bien.

Et gare aux trublions et aux déviants !

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28 mai 2017 à 10:00

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