L'air du temps, que quelques esprits chagrins ont le mauvais goût de trouver vicié, ne nous épargnera décidément donc rien. Le 21 janvier dernier, le journal britannique The Telegraph portait à notre connaissance une information censée redorer le prestige d'une université renommée, entrée récemment en crise : l'université de Leicester a annoncé, en la personne de son président et vice-chancelier Nishan Canagarajah, renoncer à tout enseignement de la littérature anglaise antérieure au XVe siècle. Son président, soucieux de coller à ce que « les étudiants attendent », préfère miser sur des modules « extrêmement innovants » sur « la race, l'ethnicité, la sexualité et la diversité » ; bref, sur un « programme décolonisé »

Pour sûr, il faut être professeur d'université pour déployer, sans une furieuse envie de rire, un jargon aussi prétentieux que nauséabond. Si l'université de Leicester prétend fonder sa décision sur son recul inexorable dans le classement des universités britanniques et la nécessité de se mettre au goût du jour, nous ne pouvons que constater une funeste victoire de la cancel culture qui sévit au sein des élites culturelles anglo-saxonnes et qui prétend nous débarrasser, pour notre plus grand bien, d'une culture occidentale affublée de tous les maux de la Terre.

Mais, alors que notre époque se targue hautement d'avoir engendré une « société de la connaissance » (prière de ne pas rire…), comment ne se trouve-t-il pas des centaines, si ce n'est des milliers d'universitaires attachés à l'idée d'un savoir émancipateur, pour désavouer et condamner avec force ce qu'il faut bien nommer barbarie ! Car quand les gardiens de notre culture s'en font les plus farouches fossoyeurs et n'ont de cesse que de réduire au silence un héritage culturel qui les embarrasse, comment ne pas craindre le retour d'âges obscurs ? Notre civilisation, depuis la Grèce, s'est construite sur l'idée que nous devions nous mettre à l'école de notre passé pour aller de l'avant. Les humanistes n'étaient-ils pas des « nains juchés sur les épaules de géants » ?

Le passé, ce souvenir accusateur, vestige d'un temps où nos « valeurs » actuelles n'imposaient pas leur loi, se retrouve donc aujourd'hui récusé, déclaré coupable et, dès lors, annihilé. Il n'a plus voix au chapitre : l'honneur offusqué de notre époque éprise d'elle-même le veut ainsi. Il ne reste plus aux professeurs qu'à se taire. Nous leur trouverons bien une autre occupation ! Il faudra bien veiller, au sein de cours « décolonisés », à mettre nos braves étudiants sur le chemin de la vertu et de la repentance…

L'Université a su, jadis, former des esprits libres. Elle n'a plus pour ambition, désormais, que de formater la jeunesse à l'idéologie dominante en la coupant de ses racines. Le physicien et philosophe du XVIIIe siècle Georg Christoph Lichtenberg, artisan des Lumières allemandes, prophétisait ainsi, dans le Miroir de l'âme : « Aujourd'hui, on cherche partout à répandre le savoir ; qui sait si, dans quelques siècles, il n'y aura pas des universités pour rétablir l'ancienne ignorance ? » Triste présage !

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27 janvier 2021 à 10:30

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