
« Je n'en suis pas réduit à tuer ma poule aux œufs d'or », aurait déclaré Napoléon en 1814, lorsque les polytechniciens demandèrent à participer à la défense de la France envahie. Malgré l'attraction qu'elle exerce dans l'imaginaire collectif, la pondaison ne semble plus aussi fructueuse que naguère.
Christian Gerondeau appartient à une lignée familiale de six générations de polytechniciens. Cet héritage semble imprégné d'une bienveillante gravité. L'auteur doute de la vocation de l'école, qui demeure - depuis sa création en 1794 - tiraillée entre deux lignes. De ces oppositions qu'on nomme dilemmes. Faut-il former des savants ou des dirigeants ? Devenir une école de recherche - au service de l’industrie - ou une école de pouvoir au chevet de l'État ?
Les fondateurs de l’X avaient pour objectif de créer un établissement préparant à fournir à l’État les cadres de formation scientifique dont celui-ci avait besoin. Le succès fut immédiat. Mais l'ambiguïté sur la finalité même de l'école règne dès l'origine. Elle est rapidement devenue « monoscientifique, sinon monomathématique », se réorientant vers les sciences et non plus leurs applications pratiques.
De la montée des énarques à l'avènement des écoles de commerce, du mauvais classement dans le palmarès de Shanghai au dédain des prix, les polytechniciens voient leur influence fondre. Les élèves ne choisiraient plus l’X « par vocation scientifique ou d’ingénieur » mais uniquement pour « devenir polytechnicien ».
Cet ouvrage dévoile l'histoire (riche) et les failles (nombreuses) d'un établissement figé où les élèves s'enlisent dans une théorisation surannée. Le tout concourant à délivrer une instruction déconnectée de la réalité. Aussi inutiles que soient ces abstractions, l'X continue d'offrir l'avantage de conduire fatalement qui la traverse à des situations enviables. Il semble y avoir matière à évolutions. Comment amener les élèves à travailler, alors qu’ils savent qu’ils ont de facto acquis leur diplôme dès leur intégration ? Comment réorienter ces têtes supposées bien faites vers la culture ? En somme, selon la formule flaubertienne : quelles recettes concocter pour replacer Polytechnique en « rêve de toutes les mères » ?
C'est si confortable de charger à vue qu'on en oublie ce que la lecture de propositions offre de réconfortant. À l'heure où il est de bon ton de vitupérer contre l'avenir, de se complaire dans l'idée que les carottes sont cuites, la détermination de Christian Gerondeau à rendre son lustre à une école mythique délivre de certains ressentiments. Et offre de ces rafraîchissements d'idées qui embaument l'immobilisme de nos élites noyées d'académisme.
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