Livre : Dictionnaire Jésus, de Renaud Silly (dir.)

dictionnaire jésus

Jésus a eu sa vie cachée, ce Dictionnaire Jésus qui vient de paraître a eu aussi la sienne. Comme l’expliquent dans la préface ses deux maîtres d’œuvre, « le présent ouvrage dérive d’un programme de recherches de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem lancé sur Internet il y a plus de dix ans sous le titre La Bible en ses Traditions ». Vaste chantier toujours en cours et mobilisant « des dizaines de chercheurs d’âges, de disciplines, de nationalités ou de confessions diverses », il vise à élaborer une nouvelle traduction de l’ensemble de la Bible, une traduction annotée faisant appel à l’interdisciplinarité la plus large (analyse littéraire, patristique, archéologie etc.).

Il se trouve qu’au tournant de ce siècle, ces deux frères dominicains, Olivier-Thomas Venard et Renaud Silly, avant de partir pour l’École biblique de Jérusalem, avaient été envoyés par leur couvent de Toulouse prêcher Jésus chez la dernière dominicaine de Villeneuve-sur-Lot qui, du haut de ses 90 ans (elle avait perdu un de ses frères à la guerre de 14), réunissait avec autorité un petit groupe de médecins, d'enseignants, de chrétiens désireux d’approfondir leur foi et de mieux répondre à la question que Jésus nous pose : « Pour vous, qui suis-je ? » Question fondamentale qui justifie aussi, toujours dans la préface, l’entreprise. Je suis donc entré dans ce livre comme j’allais à ces conférences mensuelles du mardi soir durant dix ans. Et j’y retrouve la même stimulation.

Toujours dans la préface, les deux guides précisent le projet de ce dictionnaire : « Décrire non seulement le personnage historique de Jésus, mais aussi l’énigme qu’il représentait dans le milieu et la religion de son temps. » Ils font ainsi « l'hypothèse, transgressive mais au fond assez raisonnable », car fondée scientifiquement et historiquement, qu'entre le Jésus de l'Histoire et le Christ des débuts du christianisme existe « quelque continuité ». De ce point de vue, les cartes, les développements sur les traditions juives, les articles denses concernant les évangiles, les personnages, les grands thèmes de la vie de Jésus et de son enseignement, la liturgie sont passionnants. On appréciera aussi les tableaux récapitulatifs et comparatifs entre les textes bibliques (par exemple p. 592-593 Luc et le Deutéronome, p. 809, celui des réminiscences évangéliques chez Paul).

On sera plus réservé sur certains choix. Un dictionnaire est toujours le produit de son époque. On sera donc surpris de trouver un article « Écologie », mais rien à « Création ». De même figure une entrée « Libéral » où l’on apprend que Jésus avait une préférence pour les « circuits courts »… Et même un article « Socialiste », mais vide et ne comportant qu’un renvoi à... « Libéral ». Humour de bibliste.

Sur les rapports avec la littérature et la philosophie dites païennes, l’article « Cynisme », bien informé (références à Lucien, à l'empereur Julien et à l’ouvrage de Marie-Odile Goulet-Cazé), après une comparaison des deux « morales », cynique et chrétienne, aboutit à l’évidence qu’« il n’existe pas de parallèle textuel » et que « Jésus s’inscrit dans la lignée brûlante des prophètes d’Israël qui lui fournissent une tout autre inspiration que Diogène et ses successeurs ». Dès lors, pourquoi conclure en avançant que « l’on peut légitimement penser que Jésus a opéré sa propre synthèse cynique, à partir d’un substrat galiléen de culture populaire qui avait pu être marqué par cette école » ?

De même l’article « Théâtre » émet l’hypothèse, fondée sur l’archéologie et « la politique somptuaire d’Hérode le Grand dont l’urbanisme incluait toujours un théâtre, à Césarée mais aussi à Jérusalem », que Jésus aurait « pu assister à des représentations » et que le terme « hypocrites » (acteurs, en grec) qu’il emploie « dénote sa connaissance du grec mais aussi d’une institution typiquement hellénique : le théâtre ». Là encore, devant le silence des sources, la prudence est de rigueur.

Ces ergotages de savants ne font que confirmer la fécondité et la richesse d’un volume qui fera date dans la recherche sur Jésus et les débuts du christianisme. À une époque où, à l’université et ailleurs, l’ignorance sur le sujet est parfois stupéfiante, l’ouvrage vient combler un vide. Le projet, qui aurait pu sembler une gageure, réussit à relever le défi : fournir une somme sur Jésus, en un seul volume, faisant état des dernières avancées de la recherche et offrant même, à la fin de chaque article, des pistes bibliographiques essentielles. C’est dire à quel point il aidera l’étudiant des trois cycles, autant que le lecteur cultivé ou l’enseignant. Ils apprécieront le système des renvois, les citations des sources, bibliques ou autres, très nombreuses et toujours pertinentes, la problématisation au début de chaque article.

Un livre à ne pas mettre sous le boisseau, mais dans toutes les mains et toutes les bibliothèques.

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