Les drapeaux des royaumes de France et de Patagonie flottent sur le mont Saint-Michel

Patagonie Saint-Malo
Notre monde est triste et froid, violent et sale, dangereux et plein de haine, gorgé de médiocrité comme une terre lasse est gorgée d'eau noire. Il a cessé de rêver et de respecter ; il traque la grandeur, le sacré, la tendresse et tout ce qui, de manière générale, nous empêche d'être des bêtes ou des robots.
Nous sommes en l'an de grâce 2020 : pas d'État, pas de nation, pas de sécurité ni de droits ; leur nouveau monde ressemble à un Moyen âge d'Apocalypse, sans Dieu ni roi, mais avec la 5G, les points-presse à la télé, les pièces justificatives et les transports en commun.
Et pourtant... Dans la nuit de vendredi à samedi, sept individus se sont introduits dans Mont-Saint-Michel en passant par la porte de l'avancée du village, qui n'était pas gardée. Ils ont hissé, sur la tour du Roi, les drapeaux du royaume de France et de celui de Patagonie, la patrie réelle et le royaume des rêves, tous deux à égale distance de la République administrative, de sa bassesse, de sa haine recuite et de ses monstrueux rêves de comptable.
Ce geste était parfaitement inutile. Sans doute ces drapeaux ont-ils fini à la poubelle, grâce à la vigilance citoyenne de la maréchaussée. Au fond, peu importe. Ces sept cavaliers n'ont fait que témoigner devant Dieu et eux-mêmes : leur fidélité et leur panache ne feront pas le buzz. Il y a plus urgent à salir.
Il faut lire leur lettre, laissée sur place à l'attention de celles-et-ceux qui arriveront en premier sur les lieux. Elle dit tout de la loyauté souterraine, invisible et inaliénable de ceux que La Varende appelait « les manants du Roi »: maneo, en latin « je reste, je demeure ». Ces gens libres sont ceux qui restent, ils sont aussi ce qui reste.
La République, elle est pas contente, j'imagine. Ou elle s'en moque. Au fond, encore une fois, peu importe. Là-haut, feu monsieur le consul général a souri. Et, pour une poignée de cœurs rebelles, les drapeaux de la France qui ne passe pas (il n'y a pas plus réel) et de la patrie de secours des âmes romanesques (il n'y a pas plus vrai), se sont élevés, côte à côte, un instant, dans l'air marin, à la pointe de l'Occident, sur un vaisseau de pierre que même les touristes n'ont pas réussi à faire couler.
Honneur et gratitude à ces sept cavaliers. Grâce à eux, aujourd'hui, avant la fermeture automatique des portes, nous entendrons peut-être claquer, comme en songe, deux étendards entre lesquels, pour une fois, nous n'aurons pas à choisir. Et la vie reprendra son cours.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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