Ayons une infinie gratitude pour Mme Saal. Sa façon de piocher dans les deniers publics avec une telle et folle désinvolture est proprement admirable… et si pleine d’enseignements. Seulement, n’écoutons pas les niais qui voudraient ne voir là qu’un écart circonstanciel, exceptionnel ou accidentel. Parce qu’enfin, Mme Saal n’est coupable de rien lorsqu’elle confond sa bourse et celle du service dont elle a la charge, l’Institut national de l’audiovisuel, poste stratégique s’il en est aux commandes de l’imaginaire collectif. Voyons cela !

Les plus mauvais esprits verront, en outre, dans son parachutage exprès dans un poste créé ex nihilo pour sa brillante personne une simple mauvaise habitude de la haute administration, reliquat d’un temps révolu, soit une erreur d’aiguillage destinée à être rapidement corrigée. Eh bien, que nenni ! Les indulgences coupables existent certes et la fonction publique, tout comme nos chers parlementaires, se concoctent des règles sur mesure, toujours sévères pour les usagers mais pleines de mansuétude pour eux-mêmes. Considérons les retraites ouatées que députés et sénateurs et autres gens de cabinet se ménagent sans vergogne… Un travers trop humain, néanmoins assez déplorable lorsqu’on parle au nom du peuple avec de la morale plein la bouche.

Bref, dans le cas emblématique d’Agnès Saal, ne dénoncer qu’une bénigne prévarication, c’est se voiler la face. Il faut, en effet, regarder au-delà de ces coulages institutionnels que dénoncent avec une tenace impuissance les rapports annuels de la Cour des comptes si l’on veut commencer à entrapercevoir la réalité vraie, c’est-à-dire la présence, au cœur des pouvoirs, d’omnipotentes camarillas. Nous sommes, en effet, ici dans la République du copinage, or nul n’ignore que copains rime le plus souvent avec coquins. Et, de toute évidence, des réseaux ont fait main basse sur l’appareil d’État et sa périphérie, partis, syndicats, médias.

Il faudrait parler d’oligarchies si le mot ne commençait à être négativement connoté. Au demeurant, force est de constater que la bureaucratie céleste qui nous gouverne est infestée d’authentiques repris de justice. Faut-il des noms ? De là à penser que les gens du sommet qui bénéficient de vies de millionnaire sans avoir jamais eu à prendre le moindre risque, qui ont grimpé les échelons quatre à quatre et au "grand choix", que ces nomenklaturas de professionnels du pouvoir, énarchistes, idéologues et médiacrates de tous poils, sont des sortes d’extraterrestres sortis tout droit des délires raëliens du sieur Vorilhon… il n’y a qu’un petit pas.

Point n’est besoin de chausser les lunettes de John Carpenter dans Invasion Los Angeles (1988) pour discerner la foule des aliens qui nous parasitent. Pourtant, ces gens sont indéniablement innocents et toute tricherie leur est étrangère ! Leurs concussions ne sont-elles pas spontanées, de rerum natura ? Ce qui leur passe à portée de main n’est-il pas leur dû, la légitime sanction de leurs responsabilités publiques ? Ne sont-ils pas les élus de la nation et, à ce titre, ne sont-ils pas de facto tombés dans le pot de miel ? À l’instar de MM. Cambadélis et Strauss-Kahn et de la si juteuse MNEF, par exemple ! En quoi cela en ferait-il des coupables désignés ?

In fine, ces gens ont tous les droits parce qu’ils ont tous toupets et tous pouvoirs. Cela en juste rétribution du grand Espoir des lendemains qui chantent qu’ils sèment télévisuellement à profusion et savent si bien vendre à leurs électeurs. Ces marchands de sable et de rêves ont compris que seul l’Empire des mots permet d’accéder aux prébendes et aux fastueux palais de la République. Au reste, accéder au podium, oui, y demeurer sans s’abîmer dans la faillite et la guerre civile, ça, c’est une autre histoire.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 01/07/2023 à 2:47.

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28 mai 2015

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