Issue de l’économie comportementale, cette technique (de l’anglais « coup de coude », que l’on pourrait traduire « coup de pouce ») vise à nous influencer dans notre propre intérêt. C’est une forme de paternalisme libertarien : vous êtes gentiment orientés vers une voie tout en restant libres - du moins le pensez-vous.

La mouche dessinée dans les urinoirs pour éviter les éclaboussures est sans doute l'exemple le plus connu pour illustrer cette technique. Au Havre, et prochainement à Pontoise, on investit dans du mobilier urbain nudge qui se veut « ludique et pédagogique » pour inciter les habitants à respecter la propreté dans l’espace public : des poubelles sont ainsi « déguisées » en panier de basket. Ou comment infantiliser davantage une population à la déresponsabilisation déjà bien avancée.

Expérimentée depuis longtemps en marketing, elle intéresse les pouvoirs politiques, et pour cause. Le nudge repose sur une intervention minime, ludique et peu onéreuse dont les résultats sont significatifs. Or, explique Eric Singler, directeur général de la société d’études BVA et fondateur de NudgeFrance, dans un entretien accordé à Contrepoints : « Traditionnellement, l’État dispose de trois leviers pour contrôler et modifier nos habitudes : la loi, les taxes ou subventions et l’information. Depuis longtemps, ces trois leviers sont utilisés dans les politiques publiques. Cependant, ils ne sont pas si efficaces qu’on pourrait le croire. »

En période de pandémie, quoi de plus précieux que de nous guider vers « la bonne décision » ? Voilà pourquoi, depuis un an, le gouvernement utilise cette technique comportementale dans sa communication politique. Eric Singler d’expliquer à France Inter que c’est lui, l’hiver dernier, « qui a eu l’idée des "première, deuxième et troisième lignes" pour motiver, distinguer tous ceux qui devaient aller travailler malgré la peur du virus. Il fallait les nommer, pour que ces gens-là se reconnaissent. Qu'ils soient fiers d'appartenir à ces professions essentielles », ajoute le père français du nudge. Alors, rien d’étonnant à ce qu’il se consacre désormais à la vaccination afin de persuader les derniers réfractaires, confie-t-il toujours à France Inter : « Si vous voyez autour de vous des gens qui comptent pour vous, et qui se font vacciner, par exemple votre médecin personnel, c'est ce qu'on appelle l’effet de l’émetteur. »

Les mauvaises langues y verront certainement une forme de manipulation, un totalitarisme doux qui incite plutôt que d’imposer. Impossible ! Cela n’est pas du nudge mais devient du sludge (soit une utilisation abusive des sciences comportementales). Non, soyez tranquilles, le nudge est éthique ou n’est pas. Eric Singler est formel : «  Il faut être sûr qu’il y a un intérêt individuel, collectif et/ou pour la planète et ne jamais supprimer l’option de choix. »

9185 vues

11 mars 2021 à 15:14

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.