Lassé de l’enfermement « covidesque », le claveciniste François Grenier s’est suicidé

clavecin

François Grenier, claveciniste brillant, codirecteur d'un ensemble de musique ancienne (Hemiolia), s'est donné la mort le 17 mars. Selon son amie et codirectrice, Claire Lamquet, le deuxième confinement l'avait rendu dépressif. Le Figaro nous l'apprend et s'en est fait l'écho, le 25 mars 2021.

On pourra dire ce qu'on voudra sur cet événement en apparence anodin. On pourra évoquer le cliché de l'artiste maudit, toujours à fleur de peau, à qui la souffrance existentielle accorde autant de bénédictions que de tortures. On pourra dire que le suicide (qu'il faudrait peut-être appeler « mort volontaire sans assistance » pour la distinguer de l'euthanasie, qu'en pensez-vous ?) est toujours une conjonction de facteurs, qu'on ne s'ôte pas la vie simplement à cause d'un régime particulièrement punitif.
Il n'empêche. Cette mort a valeur de symbole. Il ne s'agit pas de la récupérer mais simplement d'essayer de dire de quoi elle est le nom.
C'est d'abord la mort de la culture : fermeture des théâtres, des salles de concert, des cinémas - tandis que les McDo de la France entière sont ouverts, bien sûr. À cette fermeture fait écho la perte progressive des repères classiques, réécrits pour les idiots, réarrangés si l'on veut (Molière, Club des cinq, chiffres romains... Boulevard Voltaire en a déjà parlé). La mort d'un claveciniste, ce n'est pas la mort d'un rappeur : ceux-ci s'entre-tuent sur fond de trafic de drogue et de provocations sur les réseaux sociaux, celui-là est mort en silence dans l'indifférence.
C'est ensuite la mort d'une certaine sociabilité, celle que permet l'art. Comme dans la physique quantique, en effet, c'est le regard de l'observateur qui donne la vie à la création artistique. On écrit, on filme, on joue, on chante pour être lu, regardé, écouté. Plus encore, un spectacle vivant est à chaque fois différent. C'est un petit miracle provisoire, qui se déploie de scène en scène. En ces temps où la terrible peste noire fauche des milliards de personnes, comme chacun sait, on ne peut pas imaginer revenir à une vie normale : alors, on télécharge, on regarde en streaming, on ouvre des livres. Quand Roselyne Bachelot sortira de l'hôpital, il faudra lui présenter cette affaire.
Que François Grenier repose en paix, terrassé comme des millions de Français par la cotonneuse camisole d'un gouvernement absurde, livré à ses idées noires, dans une solitude sans musique.
Céline, dans Voyage au bout de la nuit, caractérisait la dépression comme le moment où l'on n'a « plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie ». Repensons-y avant le couvre-feu.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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