Il est né le divin poussin ! L’artiste performeur qui couvait des œufs au palais de Tokyo depuis une vingtaine de jours a enfin donné la vie. Que d’émotions… Vingt jours de gestation assis dans une boîte en Plexiglas® au vu du public. La performance est indéniable. L’avant-gardisme ébouriffant. Le Monde annonce la naissance avec le plus grand sérieux. On ne rigole pas avec l’art contemporain. Le couveur Abraham Poincheval, dont le patronyme laisse augurer des projets les plus fous, peut s’envelopper dans 150 mètres de papier toilette ou se suspendre par les oreilles à l’Arc de Triomphe, Le Monde s’extasiera quoi qu’il arrive. Le type a sa carte d’artiste contemporain. Officielle, estampillée, timbrée, lue et approuvée par les instances boboïsantes. Intouchable. Il éternue : œuvre ! Il pète : installation ! Il s’assoit dans les cabinets : avant-garde !

Le pauvre homme ne peut plus faire un geste sans avoir la direction du palais de Tokyo à ses basques. Chaque moment de sa vie quotidienne est susceptible d’être classé au patrimoine. Lui-même ne s’appartient plus. Propriété du ministère de la Culture ! Son simple reflet dans une glace vaut une fortune. On s’arrache le miroir.

"Ça a été très dur pour lui, beaucoup plus dur que lorsqu’il était enfermé dans un rocher de douze tonnes", déclare un porte-parole de centre contemporain-poulailler. Le bougre est un coutumier de l’acte gratuit, inutile et ridicule. Là est la performance. Le tiercé gagnant.

À tout moment, nous pouvons croiser Abraham Poincheval sans le savoir. Enfermé dans une poubelle, allongé sous un rail de métro ou en train de couver discrètement au rayon frais d’un Carrefour Market. L’artiste est imprévisible. Avant de jeter un mouchoir usagé, toujours penser à vérifier qu’Abraham n’est pas à l’intérieur du réceptacle. Sous le capot de votre voiture, dans le conduit de la cheminée… Tout peut devenir performance. Avant d’allumer un feu, inspectez le tuyau du poêle avec une lampe de poche. Il est peut–être dedans à réchauffer des œufs d’hirondelle.

Le langage pompeux du bonhomme pour expliquer sa démarche « artistique » est un monument d’intellectualisme décadent. À la limite du sketch : « C’est mon premier travail avec du vivant… Avant, je faisais corps, j’étais à l’intérieur des choses. Là, c’est une véritable transformation, je suis à l’extérieur, je suis celui qui entoure. » Traduction en français normal : « Quand je suis dans un objet, c’est pas pareil que quand je suis assis dessus. » L’enfumage à son plus haut niveau. Le journaliste du Monde en frémit de plaisir. Tant de contorsions pour décrire une banalité insignifiante est un art en soi. Du point de vue de l’intello tourmenté, l’œuvre n’est plus la chose mais le discours alambiqué qui la présente. Dans ces conditions, un presse-purée peut finir exposé au palais de Tokyo. Pour peu qu’Abraham Poincheval s’assoie dessus dans l’espoir d’obtenir une soupe bien chaude… Le monde en fera ses choux gras. Sans une seule coquille !

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20 avril 2017 à 0:31

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