Arnaud Lagardère n’a pas caché sa colère en découvrant la une d’un de ses magazines, le JDD, consacrée à Marine Le Pen et titrée « Un Français sur trois prêt à voter pour elle ». Voyant dans ce choix rien de moins qu’un « tract électoral », il a aussitôt appelé Denis Olivennes, président de sa filiale médias Lagardère Active, pour exiger que l’hebdomadaire « présente à ses lecteurs une ligne éditoriale plus exigeante ». N’oublions pas qu’en 2006, celui que Nicolas Sarkozy considère comme son « frère » avait déjà viré le directeur de la rédaction de Paris Match, Alain Genestar, coupable d’avoir affiché en couverture un cliché volé de Cécilia (alors épouse de Sarkozy) et Richard Attias.
La démarche du JDD ne pouvait pourtant être assimilée à de la propagande. Elle s’appuyait sur un sondage réalisé par l'IFOP et se nuançait d’accroches de couverture peu complaisantes pour la chef de file du FN : « Les deux tiers [des Français] la trouvent sectaire », « ils estiment que Marine Le Pen n’a pas de solution face à la crise ni l’étoffe d’une présidente ». Mais qu’importe. Aujourd’hui, parler de Marine Le Pen, de souveraineté, d’immigration, d’insécurité ou de civilisation revient à « faire le jeu du Front national ». Adopter une telle logique, c’est s’obstiner à ne pas comprendre. Si les autres partis n’avaient pas sciemment occulté ces thématiques qui préoccupent les Français, ils n’auraient pas favorisé l’ascension frontiste, répercutée par les médias. Faudrait-il maintenant, en plus, qu’ils la passent sous silence, au mépris du débat démocratique ?
« Ceux qui font le jeu du Front national sont ceux qui disent qu’ils tiennent “un discours de vérité” et qui lui ouvrent leurs plateaux de télévision ! On donne trop d’audience au Front national », reproche Lydia Guirous à Maïtena Biraben. « Aujourd’hui, on est dans une phase de reconquête de ses électeurs », reconnaît ensuite la porte-parole des Républicains, qui avoue par ailleurs s’être vu proposer… un poste de rédactrice en chef à Valeurs actuelles. La frontière entre presse et politique est décidément poreuse. Moralité : entre Nicolas Sarkozy qui s’évertue, comme en 2007, à récupérer les voix Bleu Marine, et François Hollande qui, au contraire, s’active à les attiser pour affaiblir son ennemi juré, les sympathisants FN n’ont pas fini de déchaîner les passions électoralistes.
Face à tant de fébrilité de part et d’autre, on ne peut que se demander si les pronostics ne sont pas encore plus galvanisants pour le FN que les résultats officiellement diffusés par les instituts. « La dirigeante du Front national profite, bien sûr, d’un espace politique aujourd’hui bien vide. Les socialistes au pouvoir manquent cruellement de popularité, tandis que la droite classique est en difficulté. […] Les Français ont un problème personnel avec Nicolas Sarkozy, avec la “marque” Sarko, qui ne passe plus. Et, malheureusement pour lui, courir derrière le FN ne change rien », analyse le correspondant du New York Times Dan Bilefsky.
Lagardère, Bolloré, Niel, Bergé, Pigasse, Drahi, Arnault, Dassault, Bouygues… Les médias hexagonaux sont entre les mains de grandes fortunes aux connivences politiques assumées et aux intérêts financiers prépondérants. Le ministre de la Culture Fleur Pellerin envisage d’« ouvrir une discussion » sur l’indépendance de la presse, voire d’étendre les missions du CSA, créer des « comités d’éthique » et des « chartes déontologiques », afin d’apporter « des garanties sur le pluralisme et la liberté d'expression ». Encore une usine à gaz qui ne pèsera pas bien lourd dans les coulisses du pouvoir.
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