Les violences massives, organisées et parfois criminelles, qui s'en prennent notamment aux fonctionnaires de police comme dans l'Essonne, les attaques d'établissements scolaires, les agressions quotidiennes contre le corps enseignant (même un proviseur molesté), la fin de l'impunité des médecins et des pompiers ne relèvent plus des transgressions ordinaires mais mettent directement en cause la capacité de résistance de l'État, testent ses aptitudes à la fermeté ou sa propension à laisser s'accomplir ce qu'il ne sait plus, ne peut plus empêcher.[…]
Qu'une manifestation de 500 policiers sur les Champs-Élysées au cours de la nuit du 17 au 18 octobre se soit déroulée dans l'urgence et l'exaspération est l'un des signes les plus éclatants de cette modification d'atmosphère comme les rassemblements de solidarité et de soutien, à Évry, Paris et Marseille, qui l'ont suivie. Ce n'est plus une simple fronde mais il y a, là, comme un parfum de révolution.[…]
Sans même rêver d'un monde d'où toute transgression serait éradiquée, en demeurant forcément dans le cadre imparfait du nôtre, je suis persuadé que pour les agressions récentes les plus graves, les enquêtes et instructions aboutiront à des interpellations puis, ultérieurement, à certaines condamnations ; mais cet optimisme suppose, outre l'existence de preuves suffisamment précises, une collaboration police-magistrature rien moins qu'assurée, la seconde étant si peu en empathie avec le dur et éprouvant métier de la première prenant le réel de plein fouet.[…]
J'admets que, ponctuellement, un État, si beaucoup de conditions sont réunies, a la possibilité de manifester sa force et de réprimer les délits, les crimes ou même les incivilités, terme délicieux donnant l'impression que le vocabulaire est capable de civiliser la réalité brute. Ainsi le Premier ministre est-il dans son rôle quand il affirme que "l'État poursuivra sans relâche les auteurs". Bien le moins !
Il y aura des avancées qui rassureront temporairement mais quand, avec des malfaisances collectives, ici ou là, on s'ébat dans la France comme si elle était un terrain de jeu livré à la folie destructrice et coupable de minorités qui n'ont plus peur de rien, que peut faire l'État ? Le plus souvent, constater, déplorer, bomber le torse, compter sur la police et sur les juges puis attendre la suite. […]
Que pèse, face à ces impunités quasiment et fatalement obligatoires - ces groupes protégés par leur nombre même - l'autorité affichée de l'État ? Rien ou presque rien. Comment l'évoquer même au regard de ces cités de non-droit qui la narguent ?
La démocratie même la plus efficiente, active, réactive, ni naïve ni féroce, ne sera jamais à la hauteur de ce qu'exigerait notre pays. Les fauteurs de troubles, délinquants et criminels sont lestés, à chaque fois davantage, de l'impuissance des services régaliens de l'État à les mettre hors d'état de nuire.
La démocratie, dans la meilleure de ses définitions, est caractérisée par tout ce qu'elle peut se permettre pour se défendre, limitée par tout ce qu'elle doit s'interdire à cause de sa nature. On devine les piètres résultats d'une politique ainsi contrariée.
Pourtant, que proposer d'autre sinon une République qui offrirait moins de garanties aux transgresseurs mais plus de droits aux honnêtes gens ? Toujours dans l'espace démocratique avec ses valeurs, ses principes et son inévitable passif... Des gouvernants plus compétents, une police mieux armée, pourvue et défendue, une magistrature plus solidaire, des médias moins mécaniquement critiques.
Si j'osais, j'irais jusqu'à soutenir qu'une démocratie, face à un pire multiplié et multiforme de plus en plus violent, sans le moindre frein éthique et humain, est impuissante par principe parce qu'elle ne peut pas tout se permettre.
Mais que son contraire, un pouvoir totalitaire impitoyable, serait un remède plus dommageable, plus insupportable que la rançon que nous payons pour avoir le bonheur de vivre en démocratie.
Extrait de : Notre démocratie impuissante par principe ou par incompétence ?
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