Julie Graziani : « Tout le monde peut être lynché ou lyncheur, aujourd’hui »

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Julie Graziani, éditorialiste, chroniqueuse et essayiste, conseille des entreprises en difficulté. Elle vient de publier Tout le monde peut s'en sortir : philosophie du rebond. L'occasion de revenir sur la polémique qu'elle avait déclenchée l'an passé par ses propos sur un plateau télé.

https://www.youtube.com/watch?v=Vz-b584inko
 

Je m’appelle Julie Graziani, je suis éditorialiste, chroniqueuse et essayiste. Je conseille les entreprises en difficultés depuis 17 ans.

Votre livre : Tout le monde peut s’en sortir. Philosophie du rebond, est-ce la réponse à votre « bad buzz » de l’année dernière ?

Au moment de ce bad buzz, j’étais effondrée. C’est fait pour se casser les pattes et en même temps je me suis dit que c’est une occasion en or de m’appliquer à moi-même mes propres théories. Je ne vais pas philosopher dans le vide. Si ça marche pour moi, si j’ai pu m’en sortir après avoir été l’objet d’une telle détestation collective, tout le monde peut y arriver.

La haine sur les réseaux sociaux vous a-t-elle surprise ?

Je n’avais pas réalisé l’ampleur. Je l’ai réalisée dernièrement en lisant La haine en ligne de David Doucet. Il décrit cette violence et surtout le fait que cela peut arriver à n’importe qui. Cela ne touche pas uniquement les gens qui s’expriment en public, contrairement à ce que l’on pense. Cela peut arriver à l’anonyme, à quelqu’un qui n’a jamais fait plus de deux ou trois tweets. Aujourd’hui, tout le monde peut être lyncheur ou lynché.

Avez-vous reçu du soutien ?

J’ai reçu beaucoup de soutien de ma famille, de mes amis, de mon entourage professionnel, de mes clients et des salariés avec qui je travaille.

Regrettez-vous cette phrase ?

Je ne la regrette pas. Je pense que j’aurais dû davantage la contextualiser pour que les gens comprennent que cela s’insérait dans un cadre argumenté. Ce que je regrette c’est que l’on sorte une phrase de son contexte et que l’on fasse semblant de faire dire à quelqu’un ce qu’il n’a pas dit.

Dans votre livre, la France est comme une entreprise. Doit-on lui appliquer des solutions du monde de l’entreprise ?

La France est une bonne grosse entreprise familiale. Ce n’est pas une « start-up nation » comme si elle avait commencé avant-hier. C’est une entreprise historique qui a des racines très anciennes et qui a encore de très beaux jours devant elle. Comme n’importe quelles entreprises, la France a un budget à gérer, des investissements à réaliser et ne peut pas être en déficit de manière permanente. Elle doit rayonner pour attirer les talents. Elle doit mobiliser ces citoyens autour d’un projet. Ce sont des sujets entrepreneuriaux.

Est-ce différent de la « start-up nation » d’Emmanuel Macron ?

C’était réducteur la start-up nation. La France est tellement plus ancienne qu’une start-up nation. La France est la bonne grosse PME familiale. En revanche, il faut lui reconnaître qu’il a fait beaucoup de bonnes choses inspirées des problématiques d’entreprise. L’assouplissement des règles du droit du travail, des contraintes réglementaires, l’appel aux investissements étrangers et des tentatives de réindustrialisation. Tout cela était nécessaire. Cela apparaît sur 40, 50, 60 ans de représentation collective à base de lutte des classes, d’opposition des gens entre eux, de suspicions par principe de ceux qui font avancer la machine France et les entreprises, d’opposition factice, alors que dans les entreprises, tout le monde travaille ensemble.

On oppose souvent les PME et les grands groupes. Ont-ils des problématiques différentes ?

Ils ont les mêmes problématiques, mais à un autre niveau. Dans les PME, le patron doit se battre au quotidien avec tout un tas de difficultés qui lui parviennent tous les jours et pour lesquels il n’a pas forcément les équipes. Il en fait sans doute beaucoup plus. Dans les grands groupes, l’ampleur des sujets est aussi considérable et peut donner lieu à des responsabilités énormes. D’une manière générale, il faut arrêter d’opposer les catégories. Dans un tissu économique, tout est complémentaire. Il faut des artisans, des TPE, des PME et bien sûr des grands groupes. Ne les opposons pas !

Vous faites un éloge de la subsidiarité ?

J’ai remarqué que souvent quand le dirigeant s’enferme et veut prendre en charge tous les problèmes à lui tout seul, il s’épuise et ne convainc pas ses équipes. Il est très important, au contraire de pouvoir déléguer et associer les gens qui sont aux prises avec les problèmes quotidiens, à l’élaboration des solutions et de bâtir ces solutions avec eux pour qu’ils se les approprient. Cela fonctionne beaucoup mieux.

Selon vos propres mots, vous êtes une «  parvenue ». La haine des riches plombe-t-elle le pays ?

Oui, il y a un paradoxe énorme. Comment peut-on à la fois se plaindre du matin au soir que l’ascenseur social est bloqué et ne fonctionne pas et dans le même temps, quand on a de belles trajectoires de progression sociale, la France, le français, la langue française n’a pas de mots pour le qualifier autre que des mots condescendants ? Parvenue, n’est en général pas un compliment.
Oui, je suis une parvenue et j’en suis fière. Il n’y a pas d’autre mot et c’est dommage. Il faut donner le goût aux gens de progresser et de gravir les échelons petit à petit. Si vous leur dites à la fois que c’est très dommage qu’ils soient dans la difficulté, mais que s’ils souhaitent mieux gagner leur vie, ils passent du côté des riches, c’est une injonction contradictoire. C’est incompréhensible.

Le grand responsable, est-ce l’État providence ?

Pour moi les grands responsables sont les représentations collectives qui se sont forgées au fur et à mesure, sans doute par gentillesse, pour aider les gens. Elles s’avèrent contre-productives. On voit très bien la dérive de l’État providence. Il commence par quelque chose de formidable. On va garantir les choses qui pouvaient ruiner une vie entière parce qu’on devenait handicapé, vieux, malade et que l’on faisait face à un vrai problème grave que l’on ne pouvait pas gérer sans l’intervention de la puissance publique. Plus ça va, plus l’État providence ne parvient plus à fixer la limite. Il y a toujours un malheur à réparer. Il y a toujours une injustice à résoudre. Il y a toujours quelqu’un à aider quelque part. C’est cette dérive-là que je dénonce. Je propose de recentrer l’État providence sur ces fondamentaux pour qu’il soit plus efficace.

Vous prônez le rêve américain plus que la réalité française, non ?

Je prône que la réalité est dure et qu’il va falloir s’y faire. La parenthèse enchantée des Trente Glorieuses est finie. Il faut l’admettre. Aujourd’hui, la France est en compétition avec beaucoup de nations dans le monde qui sont plus agiles qu’elle et qui ne se gênent pas pour lui prendre des marchés. Nous continuons à vivre sur un modèle d’État providence qui a très bien fonctionné pendant trente ans, mais qui à l’évidence, ne marche plus, sinon il ne serait pas en déficit depuis quarante ans. Il génère de la frustration, du ressentiment, de la rancœur et du découragement, là où auparavant, il générait de l’apaisement social. Si cela marche, je n’ai rien contre, mais je suis lucide et constate que cela ne marche plus et qu’il faut changer des choses.

Quel conseil donneriez-vous à vos enfants pour affronter la vie ?

Je donnerais le même conseil que ma mère m’a elle-même donné quand j’étais plus jeune.
« Ma petite chérie, la vie est injuste, c’est bien que tu le découvres assez tôt, mais cela ne doit pas te décourager ».

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 22/10/2020 à 18:26.
Julie Graziani
Julie Graziani
Editorialiste

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