Jean-Luc Godard : son œuvre, sa vie, ses nuances et ses contradictions

Mandatory Credit: Photo by APS-Medias/ABACA/Shutterstock (13387493b)
File photo dated May 1985 of Jean-Luc Godard promoting his film Detective at the 38thCannes Film festival. Jean-Luc Godard, the French-Swiss director who was a key figure in the Nouvelle Vague, the film-making movement that revolutionised cinema in the late 1950s and 60s, has died aged 91.
Jean-Luc Godard Dies Aged 91, CANNES, France - 13 Sep 2022
Mandatory Credit: Photo by APS-Medias/ABACA/Shutterstock (13387493b) File photo dated May 1985 of Jean-Luc Godard promoting his film Detective at the 38thCannes Film festival. Jean-Luc Godard, the French-Swiss director who was a key figure in the Nouvelle Vague, the film-making movement that revolutionised cinema in the late 1950s and 60s, has died aged 91. Jean-Luc Godard Dies Aged 91, CANNES, France - 13 Sep 2022

À Léon Daudet, on prête cette phrase : « Après Proust et Céline, on ne pourra plus jamais écrire de la même façon. » Voilà qui peut valoir à propos du septième art et de Jean-Luc Godard qui vient de nous quitter, à 91 ans. Cette figure de proue de la Nouvelle Vague vint en son temps révolutionner le cinéma français, mouvement dont Michel Audiard disait méchamment qu’elle était « plus vague que nouvelle ». Mais que n’aurait fait l’ermite de Dourdan pour un bon mot ?

Il s’agissait alors de bousculer le « cinéma de papa », jugé par trop classique et claquemuré dans ses studios, un peu comme les peintres de l’école de Barbizon s’en allèrent poser leurs chevalets en forêt de Fontainebleau, loin des artifices des ateliers, histoire de capter la lumière sans fard, la véritable beauté des choses. Tel est l’apanage de la jeunesse, arrogante et cruelle envers ses aînés, mais qui n’a pas tout à fait tort non plus, tant nombre de films de l’époque pouvaient paraître amidonnés.

Et c’est la révolution d’À bout de souffle, tourné en 1960, avec un Jean-Paul Belmondo plus vrai que nature et une Jean Seberg parfaitement renversante d’érotisme, même vêtue d’une sage marinière. Le film connaîtra aussitôt un retentissement mondial, le Nouvel Hollywood ayant directement été influencé par cette vague nouvelle, de Martin Scorsese à Steven Spielberg, de Francis Ford Coppola à George Lucas, dont les premiers films portèrent la marque godardienne, avant que tous ne se reconvertissent dans le film hollywoodien à succès.

Le style du défunt est immédiatement reconnaissable. C’est un authentique auteur, au sens où l’on reconnaît sa patte au bout de quelques images. C’est aussi une interrogation politique, voire existentielle, récurrente qui sera à la source de nombreux malentendus. Pour résumer, la Nouvelle Vague est-elle de droite ou de gauche, Jean-Luc Godard n’est-il que le « plus con des Suisses pro-Chinois », pour reprendre un graffiti situationniste de Mai 68, ou est-il aussi un homme épris de tradition, même empreinte d’un indéniable tropisme révolutionnaire ?

Pour répondre à la première question et même si les contours de cette Nouvelle Vague, au même titre que celle des Hussards littéraires d’alors, sont des plus flous, on répondra que ce mouvement, à défaut d’être de droite, n’était pas tout à fait de gauche. Éric Rohmer, l’un de ses chefs de file, n’a jamais caché ses opinions royalistes et catholiques. La réponse à la seconde question est évidemment plus ardue. Avec Le Petit Soldat, tourné en 1960 mais distribué trois ans plus tard, notre homme signe un film que certains tiennent pour un manifeste pro-OAS. Dans À bout de souffle, il fait tourner le cinéaste Jean-Pierre Melville, lui attribuant le rôle d’un écrivain nommé Parvulesco. Jean Parvulesco est le chantre de la tradition européenne, catholique de conviction mais fortement influencé par l’œuvre de René Guenon et futur sympathisant du GRECE, école de pensée fondée par Alain de Benoist.

On le voit ensuite emprunter un virage maoïste, épouser certaines luttes post-soixante-huitardes, flirtant avec une ligne pro-palestinienne à laquelle il devra longtemps la réputation d’un homme dissimulant son antisémitisme derrière des positions antisionistes. Bref, Jean-Luc Godard aurait voulu se fâcher avec tout le monde qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Je vous salue Marie" (1985), relecture plus que dispensable de la vie de la Vierge, ne lui a ainsi pas valu que des amis chez les catholiques.

Pour paraphraser Céline plus haut cité, on en revient à ceci : faut-il découpler l’artiste de son œuvre ? Chez les céliniens de stricte observance, on préfère généralement opter pour l'œuvre. Chez Jean-Luc Godard, il est possible d’inverser la proposition. Ses films peuvent laisser perplexes, mais ses réflexions sur le cinéma donnent à réfléchir : « Quand on va au cinéma, on lève la tête, disait-il. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »

Notons que ce cinéaste est parti en demandant un suicide assisté. Non point après avoir revu l’ensemble de son œuvre, comme pourraient le prétendre de méchants anti-gordardiens, mais peut-être parce que ce monde ne lui convenait plus et qu’il entendait à coup sûr le quitter. Une implacable pirouette posthume ?

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

7 commentaires

  1. C’est vrai que le personnage est déconcertant , il faut voir le biopic hilarant tiré du livre d’Anne Wiasemski..
    Mais je dois reconnaître qu’il émane quelque chose de ceux de ses films que j’ai vu un ton un cadrage un jenesais quoi…qui amuse fascine intrigue

  2. Hier soir Arte a rendu hommage à Godard en diffusant Le Mépris. J’ai résisté longtemps à la tentation de changer de chaîne car le début est incompréhensible (pour moi) et l’enregistrement sonore, avec écho, rend les paroles entre les acteurs difficilement audible… J’ai tenu bon pour les acteurs : Brigitte Bardot, évidemment, et Michel Picolli, tous deux excellents et séduisants, chacun de leur côté. Il a fallu arriver pratiquement à la fin du film pour que j’y trouve de l’intérêt : beauté des images et des corps, cadrages ingénieux, bref un esthétisme de classe.
    Arte a voulu prolonger l’hommage en faisant suite avec : « Prénom Carmen » et j’avoue n’avoir pas résisté très longtemps, étant même choquée par une espèce de fausse ou vraie (?) attaque terroriste… Du sang, des morts… Non, cela ressemblait trop à une certaine réalité que nous ne souhaitons plus voir.

  3. C’est toute une époque à laquelle vous nous conviez à travers ce que je trouve être un excellent hommage à Godard qui en a été un des acteurs marquant. Je n’ai pas une idée très précise de la nouvelle vague sinon à travers une certain esthétisme et un ton nouveau . Ce qui était marrant chez Godard c’était le contraste entre le côté austère du personnage et la fantaisie des acteurs qu’il utilisait dans ses films . MAIS comme vous nous l’expliquez , il n’était pas exempt de paradoxes .Je pense que la nouvelle vague était une époque où on se cherchait avant la prochaine vague de mai 68 . C’est peut-être pour cela qu’elle était intéressante car riche de ses propres contradictions . Antonio Carlos Jobim grand prêtre de la nouvelle vague brésilienne du début des années 60 et qui a popularisé mondialement ce style s’inspirant du folklore brésilien, ne jurait que par la musique classique !

  4. Bonjour ,Je partage le point de vue de Nicolas Gauthier sur Godard ,il a presque tout dit .
    Je rajouterais simplement que je n’échangerais pas la Filmographie de John Ford pour celle de Godard .
    Reste bien évidemment cet « A Bout de Souffle » qui ,quand je l’ai visionné pour la première fois m’a « espanté » comme on dit dans le SUD-OUEST .L’image de Belmondo la clope au bec ,veste sur l’épaule, à l’arrêt devant l’affiche de cinéma avec dessus Humphrey Bogart, est une des scènes qui m’avait marqué à l’époque .(Même si bien évidemment je n’ai pas vu le film à sa sortie étant un petit bébé à l’époque ) .Oui ,Godard était bien plus passionnant dans ces discours sur le Cinéma que pour sa propre Filmographie .

  5. Quand on n’a plus rien à perdre, on est enfin libre de dire ce que l’on pense.
    Debut citation de Jean-Luc Godard : « L’intervention de Zelensky au festival cannois va de soi si vous regardez ça sous l’angle de ce qu’on appelle « la mise en scène » : un mauvais acteur, un comédien professionnel, sous l’œil d’autres professionnels de leurs propres professions.
    Je crois que j’avais dû dire quelque chose dans ce sens il y a longtemps. Il aura donc fallu la mise en scène d’une énième guerre mondiale et la menace d’une autre catastrophe pour qu’on sache que Cannes est un outil de propagande comme un autre. Ils propagent l’esthétique occidentale, quoi…
    S’en rendre compte n’est pas grand-chose mais c’est déjà ça. La vérité des images avance lentement. Maintenant, imaginez que la guerre elle-même soit cette esthétique déployée lors d’un festival mondial, dont les parties prenantes sont les États en conflit, ou plutôt « en intérêts », diffusant des représentations dont on est tous spectateurs… vous comme moi. Fin citation.
    Bravo!

  6. Il y a eu des très bons films mais certains étaient à mourir d’ennui .
    Même si je respecte sa mémoire le personnage était vraiment assez déplaisant

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