Les Français majoritairement favorables au retour de la peine de mort ? Pour Jean-Louis Harouel, professeur émérite à l'université Paris II (Panthéon-Assas) et auteur de Libres Réflexions sur la peine de mort (DDB), ce constat n'est pas si surprenant... 

Un sondage récent Ipsos-Le Monde révèle que 55 % des Français seraient favorables au retour de la peine de mort. Ce chiffre vous étonne-t-il ?

Il est à mettre en rapport avec une insécurité qui n’est pas, quoi que certains en disent, une simple impression mais bel et bien une réalité. Conscients que le laxisme judiciaire fabrique de l’insécurité, de plus en plus de gens voient dans le rétablissement de la peine de mort le moyen de faire cesser ce laxisme. D’ailleurs, avant sa suppression en 1981, même si le rôle de la peine de mort était devenu largement symbolique, sa présence et son emploi, si limité fût-il, donnaient au citoyen confiance dans la justice de son pays, laquelle restait fondée sur l’idée de responsabilité avec ses deux volets : réparation et expiation. En dépit de l’intense propagande déployée depuis quarante ans pour forcer dans les esprits la croyance que l’abolition de la peine de mort a été un progrès majeur de civilisation et ne présente que des avantages, nombreux sont ceux qui ont compris ou senti que cela aboutissait à faire passer la vie des criminels avant la vie des innocents, et que la société en venait à trahir sa mission fondamentale qui est – comme on ne le rappellera jamais assez à la suite de Locke – de donner la priorité à la sécurité de l’innocent.

Pour le magistrat honoraire Philippe Bilger, « le désir de la peine de mort revient en raison du laxisme et de la non-exécution des peines ». Une justice suffisamment ferme, avec des peines réellement incompressibles et une réelle perpétuité, ne suffirait-elle pas à éteindre ce « fantasme » de peine de mort ?

Le problème est que l’ampleur du phénomène du raccourcissement des peines effectuées par rapport aux peines prononcées, avec pour conséquence la disparition d’une réelle perpétuité, est dans une large mesure la conséquence de l’abolition de la peine de mort. Cette peine suprême terrible légitimait les autres peines qui paraissaient douces par comparaison. En enlevant à la justice pénale sa clé de voûte, l’abolition de la peine de mort a délégitimé toutes les autres peines. Il en est résulté une dislocation du système des peines avec, en premier lieu, la suppression de fait de l’emprisonnement perpétuel. Pourtant, de Victor Hugo à Robert Badinter, les idéologues de l’abolitionnisme avaient promis une perpétuité réelle pour protéger la société des criminels dangereux. Mais il n’en a rien été. Devenue la plus haute peine du fait de la suppression de la peine de mort, la réclusion à perpétuité est apparue, à son tour, inadmissible aux yeux des tenants de l’humanitarisme pénal (en réalité anti-pénal), qui ont obtenu dans la pratique son abolition. C’est ainsi qu’en France, la durée moyenne d’enfermement effectif des condamnés à perpétuité est, actuellement, de l’ordre de vingt ans, et un condamné à la perpétuité dite réelle peut demander, au bout de trente ans, une libération conditionnelle. Avec, pour résultat, la possible remise en liberté, au nom du principe d’humanité, d’assassins atroces ayant fait preuve de la plus totale inhumanité, dont rien ne garantit vraiment qu’ils ont cessé de constituer un péril mortel pour la vie des autres. Et le même phénomène de raccourcissement des peines accomplies s’est reproduit à tous les niveaux. Entre remises de peine et libérations anticipées, la Justice semble avoir pour obsession de remettre en liberté les criminels.

C’est que la revendication de l’abolition de la peine de mort a été le fer de lance d’une idéologie qui conteste, en réalité, l’idée même de peine et considère les criminels comme des victimes innocentes d’une société mauvaise, des êtres malades par la faute de la société, et que l’on n’a donc pas le droit de punir mais le devoir de soigner. Se rattachant à la religion des droits de l’homme, cette idéologie anti-pénale ne s’intéresse vraiment qu’aux délinquants et criminels, dont la réadaptation sociale est devenue l’objectif majeur du système pénal. Fondée sur l’idée de l’irresponsabilité des criminels, l’idéologie humanitaire anti-pénale unit dans la même réprobation toutes les peines et elle prohibe non seulement la peine de mort mais encore la perpétuité réelle. C’est, aujourd’hui, un droit de l’homme que de pouvoir tuer sans risquer d’être tué en vertu d’une sentence pénale, mais aussi sans risquer d’être condamné à une détention perpétuelle non révisable. On mesure la nécessité du rétablissement de la peine de mort pour espérer accomplir la restauration d’une justice digne de ce nom, garante de la sécurité. On ne peut y parvenir sans rompre avec l’humanitarisme anti-pénal de la religion des droits de l’homme, qui pervertit la justice et fait qu’elle en arrive à produire ce qu’elle a pour mission de combattre : la barbarie.

Imaginer le retour de la peine de mort en France est-il politiquement, psychologiquement et, surtout, juridiquement réaliste ?

Les autorités françaises ont tout fait pour rendre impossible le rétablissement de la peine de mort. De fait, l’abolition votée en 1981 n’avait rien de définitif car le peuple souverain peut changer d’avis au gré des changements de majorité. Cela s’appelle même la démocratie. Or, pour empêcher cela, le refus de la peine de mort a été placé au-dessus de la souveraineté des citoyens. La France a ratifié le protocole additionnel 13 (de mai 2002) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui décide que nul ne peut être condamné à mort même en temps de guerre, ainsi que le 2e protocole facultatif au Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques (de 1989), et, pour ce faire, a été introduite, en février 2007, dans la Constitution la règle que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». Il sera assurément difficile de passer outre à ce verrouillage politico-juridique qui traduit un parfait mépris envers le peuple. Mais ce n’est pas impossible, surtout en utilisant l’outil du référendum.

Propos recueillis par Gabrielle Cluzel.

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01 octobre 2020 à 23:22

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