Jean-Jacques Milteau : le meilleur joueur d’harmonica du monde est français

Au lieu de parler, il préfère souffler. Nombre de ses confrères seraient bien inspirés de l’imiter.
Capture d'écran
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Si le regretté Jean-Marie Le Pen était encore de ce monde, il y a fort à parier que, le dimanche 8 juin prochain, il se serait rendu au festival Jazz salé de La Trinité-sur-Mer pour y applaudir l’harmoniciste Jean-Jacques Milteau. En effet, lui qui fut l’ami du clarinettiste Claude Luter, l’un des pionniers du jazz français depuis l’immédiate après-guerre, était un fin connaisseur de cette musique qu’il tenait en très haute estime.

Pour les amateurs de « ruine-babines » (le petit sobriquet donné à l’harmonica), le plus humble des instruments, le seul, avec le triangle, qui puisse tenir dans la poche, Jean-Jacques Milteau est une véritable institution. En France, c’est le maître incontesté de la discipline. À l’étranger, tous les musiciens retirent leur chapeau au simple énoncé de son nom. Ainsi, Charlie McCoy, le maestro de l’harmonica country, l’homme qui règne sur Nashville, est le premier impressionné quand, lors d’un concert donné à l’Olympia en 1977, où il accompagne Eddy Mitchell – qui a toujours eu un goût très sûr dans le choix de ses musiciens –, il accepte de croiser le fer avec le jeune Milteau, seulement 27 berges au compteur. Après s’être mesuré à lui, McCoy admet : « Il y a un monsieur qui joue avec nous sur cette scène. Il joue aussi bien que moi, si ce n’est mieux. Il a maintenant son propre style. Je lui laisse la place. C’est Jean-Jacques Milteau. » Une anecdote que confirmera notre Schmoll national, lors d’un autre concert, toujours à l’Olympia, en 2011 : « Mon ami Charlie a encore dit à Milteau : "Oui, tu joues très bien, mais surtout, rends-moi un service, ne t’installe jamais à Nashville…" »

La modestie incarnée…

Pourtant, notre homme, né le 17 avril 1950, a toujours été du genre modeste. Il aurait pu plastronner, ayant exercé ses talents derrière des artistes du calibre de Maxime Le Forestier, Barbara, Yves Montand, Charles Aznavour, Eddy Mitchell ou Renaud. Mais non. Il est toujours demeuré en retrait, préférant former de jeunes pousses, tel un certain Greg Szlapczynski, plus connu sous le nom de Greg Zlap, qui sera le dernier harmoniciste du grand Johnny. Pareillement, et ce, encore dans la plus grande discrétion, de 1997 à 1998, il anime, avec ce nouvel élève, un atelier pour les enfants malades au Centre de rééducation de Bullion, dans les Yvelines. Toujours dans ce registre, il publie, en 2001, Manque pas d’air, album « réalisé par Musique & Santé pour découvrir les plaisirs de l’harmonica mais aussi l’utiliser comme allié pédagogique pour une meilleure prise de conscience du souffle. Particulièrement utile pour les enfants atteints de maladie respiratoire : asthme, mucoviscidose… »

Féru de littérature, Jean-Jacques Milteau sort un autre album, L’Or, mise en musique du roman éponyme de Blaise Cendrars. Mais notre artiste est également réputé de par le monde par ses méthodes d’harmonica. À tel point qu’on parle aujourd’hui du Milteau comme du Bescherelle… Un véritable homme-orchestre, en quelque sorte.

Toujours sur la route…

Ce qui ne l’empêche pas d’arpenter les scènes du monde entier, de régulièrement sortir des albums - vingt-six, à ce jour - unanimement salués par la critique spécialisée et lui ayant valu de nombreuses récompenses : Victoire de la musique en 2001, Grand prix du jazz de la SACEM en 2003, médaille d’officier des Arts et des Lettres en 2014. Ce qui est loin d’être volé, Milteau parvenant, en termes de virtuosité et d’élégance, à rivaliser avec ces deux autres maîtres que sont Toots Thielemans et Stevie Wonder, l’insurpassable génie qu’on sait.

Dans cette imposante discographie, on ne sait parfois que choisir. Néanmoins, il n’est pas illicite d’avoir un faible pour Merci d’être venus (1996), album de duos où il met son instrument au service de Francis Cabrel (Sarbacane), Michel Jonasz (Les Fourmis rouges), Claude Nougaro (Les Don Juan), sans oublier ce Lonely Crowd proprement renversant, partagé avec l’immense violoniste Didier Lockwood, l’élève de Stéphane Grapelli.

Pour finir, on saluera le légendaire effacement médiatique de Jean-Jacques Milteau qui, s’il a sûrement son avis sur la marche du monde, n’en fait jamais publiquement état. Au lieu de parler, il préfère souffler. Nombre de ses confrères seraient bien inspirés de l’imiter. Chapeau bas devant l’artiste.

 

PS : Notons que ses reprises de titres anciens n’ont souvent rien à envier aux chansons originales, tel qu’en témoignent ces réinterprétations du What a Wonderful World de Louis Armstrong et l’Ode to Billy Joe, de Bobbie Gentry.

 

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

19 commentaires

  1. Je me souviens, lorsque j’étais encore étudiant dans les années 80, j’allais souvent le voir dans un petit bar à musique près de Montparnasse. Il avait à peine sorti 2 albums que je me suis empressé d’acheter. Super souvenirs !

  2. et les sonnyboy Williamson 1er2, les little Walter on en fait quoi ? juste des imitateurs peut-être ??

  3. Merci à Nicolas Gauthier pour cet article très instructif. J’adore tout spécialement l’harmonica. Ce « ruine-babines », comme disent également les Québécois, éveille en moi des souvenirs familiaux. Je sais ce que je vais offrir et m’offrir également tant qu’à faire. Quelles nuances dans le jeu de ce virtuose. Un régal. Je suis fière de l’hommage qui lui est rendu. Il le mérite cent fois et même plus…

  4. Merci pour cet éloge mérité sur Jean-Jacques Milteau que j’ai découvert il y a des années, consciente d’être tombée sur une « pépite ». Et c’est vrai qu’il est « la modestie incarnée ». Quant à Greg Zlap, j’ai découvert ce prodige lors des concerts de Johnny. Merci pour cet article.

  5. Il ne faut pas oublier qu’on a les meilleures trompettes au Gouvernement et le roi du pipeau comme Président.

  6. Milteau joue de l’harmonica diatonique (sans piston), idéal pour le blues: en aspirant on est dans la tonique (en 7ème) et en soufflant dans la sous-dominante. Inconvénient: à chaque changement de tonalité, on doit aussi changer d’instrument. Bon, c’est pas cher et ça prend pas de place. Perso, j’ai abandonné face à l’impossibilité de faire un « bent » (monter ou descendre la note d’un demi-ton par un mouvement de langue).
    Milteau excelle dans son style, mais je préfère quand même son confrère Charly musselwhite, plus éclectique. Ecoutez-le jammer avec le grandissime Ben Harper ou les Cubains du Buena Vista.
    P.S l’ocarina, c’est pas très volumineux non plus ! Et ça joue toutes les notes.

      • J’ai voté aussi Mitterrand en 1981 , nul n’est parfait , on ne pouvait anticipé ce qui s’est passé par la suite , c’est à dire le virage libéral ,et le Montand de « vive la crise: »
        Pour me rattraper j’ai voté Lepen en 2002 !

    • Et qui se mets à voter sur la fin de sa vie, juste pour emmerder ceux qui votent RN (dixit Mitchel lui même).

  7. Pfff ! … « Petit joueur » à côté de tous les « pipeauteux » qui squattent les ors du pouvoir français ! …

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