Jean Castex au secours des agriculteurs : en avril, ne te découvre pas d’un fil ! Et après ?

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Une conjoncture qui rappellerait presque les effets de l’hiver 1709, quand « les bleds, tant de nostre terroir que des autres pays, feurent tous morts aussy bien que les olliviers, orangers, figuiers et les ortolailles (légumes) des jardins ».

Ce début avril a vu se produire un épisode de gel particulièrement dévastateur pour les cultures. Dans les nuits du 6 au 7 et du 8 au 9 avril, les températures ont chuté, par endroits, de -6 °C ou -7 °C. Outre des dégâts spectaculaires sur vignes et vergers, le gel a été ravageur pour les grandes cultures, à commencer par les betteraves et le lin de printemps. Même au pied des Pyrénées de l’Ouest, où la température est généralement clémente, on a pu voir les feuilles et bourgeons des figuiers et des lianes Actinidia à kiwi complètement brûlés.

Dix régions sur treize ; presque tous les départements sont touchés. Dans le nord de la France, « 40.000 hectares de betteraves ont gelé », selon Christiane Lambert, présidente de la FNSEA ; les colzas n'ont pas « résisté ». Et « toute la France viticole, sauf peut-être l'Alsace et la Charente, est touchée ».

Déconfiné en Ardèche, ce 10 avril – à défaut du bain de foule algérien prévu –, Jean Castex a promis que l’État allait dégager des « enveloppes exceptionnelles » pour les dégâts occasionnés que Christiane Lambert estime à plusieurs milliards d’euros. Dès ce jeudi 8, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, annonçait le déclenchement du régime de « calamité agricole » qui indemnise les exploitants pouvant justifier d’une perte de 30 % de leur production. Mais… l’aide est conditionnée aux récoltes « non assurables » : arboriculture ou horticulture. Et pour le reste, vignes ou grandes cultures assurables ? Le ministre parle, vaguement volontariste, de la nécessité de « mobiliser très fortement les assureurs ». Heureusement – ou hélas - plus « terre à terre », Jérôme Despey, secrétaire général de la FNSEA et viticulteur dans l'Hérault, lui répond en miroir : « Malheureusement, trop peu d'hectares de vignes sont protégés. Sur 800.000 hectares en France, seuls 200.000 sont assurés. » Effritement généralisé du parapluie mutualiste.

La Coordination rurale (CR), qui défend des prix d’achat aux agriculteurs indexés sur leurs coûts de production, a d’ores et déjà alerté sur le passage insidieux d’un soutien étatique de principe à la « gestion des risques » via des compagnies d’assurance ou des fonds de mutualisation à cotisation obligatoire : « Les agriculteurs, dans la course imposée de la compétitivité, sont de plus en plus spécialisés et donc de plus en plus exposés aux catastrophes climatiques ou sanitaires, tout en ayant des trésoreries très tendues […] À cela s’ajoutent les risques engendrés par la volatilité des cours due aux abandons successifs des PAC depuis 1992. » Et le syndicat de réaffirmer « son attachement à l’épargne de précaution dans un contexte économique stabilisé par une PAC digne de ce nom ».

Qu’on le veuille ou non, « l’argent magique » par déplafonnement du régime des calamités agricoles promis par l’énarque Castex ne sauvera pas un monde rural asphyxié par une politique agricole commune (PAC) vidée de sa substance, livré aux aléas – non fortuits – de la mondialisation tout autant qu’aux aléas climatiques, qui a perdu 57 % de ses exploitations en trente ans et où plus de 370 agriculteurs se suicident chaque année, désespérés de ne pouvoir payer leurs dettes et de ne pouvoir vivre, sans aides d’État via l'Europe, du fruit de leur travail, dans la dignité. Cautère sur jambe de bois.

On nous parle, sans doute à raison, de dérèglement climatique. Les saisons sont de moins en moins franches, alternant épisodes de gel et de longue sécheresse. Coincée entre le carcan productiviste mondialisé et les restrictions de la crise sanitaire, la majorité des 400.000 agriculteurs français a vu grimper ses déficits, sans solutions à long terme. Quand Jean Castex annonce que « le gouvernement, l’État assumera les responsabilités qui sont les siennes » tout en appelant à « poursuivre et amplifier des actions structurelles » pour adapter l’agriculture à une nouvelle PAC, au vu de sa gestion épidémique en cours, on peut craindre le pire.

Pierre Arette
Pierre Arette
DEA d'histoire à l'Université de Pau, cultivateur dans les Pyrénées atlantiques

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