Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les images semblent avoir désormais force de loi. L’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, l’un des pères du nucléaire iranien, participe de cette lame de fond. Il est vrai que le mode opératoire était tout bonnement « hollywoodien », tel que confirmé par un proche des Pasdarans, la garde prétorienne de Téhéran, cité par Le Figaro de ce 30 novembre dernier. Mais il n’est pas interdit d’aller y voir plus loin, au-delà de la sidération médiatique.

Qui est derrière ce coup d’éclat ? Israël demeure l’une des pistes les plus plausibles. Mais si l’État hébreu a agi de la sorte, c’est évidemment fort de l’assentiment de son homologue américain. Pourquoi maintenant ? Tout simplement parce qu’il survient en une époque d’entre-deux, avant que Donald Trump ne rende les clefs du pouvoir à son successeur. D’où un flou propice à tous les aventurismes et cette question : quels sont les intérêts des parties en présence ?

La stratégie israélienne est aisément décryptable : il s’agit de pousser l’Iran à la faute et d’empêcher Joe Biden de revenir sur l’accord concernant le nucléaire iranien, civil ou éventuellement militaire. Celle de la Maison-Blanche est déjà plus complexe, tout comme la personnalité de Donald Trump, qui passe pour un va-t-en-guerre alors que Renaud Girard, l’un de nos meilleurs experts en géopolitique, rappelle, dans Le Figaro, ce 11 novembre dernier, « qu’il n’aime pas la guerre », s’agissant d’un « réaliste prudent ».

Certes, en mai 2018, le même Trump revient sur l’accord en question, signé par Barack Obama, puisque promesse électorale faite à l’AIPAC, le très puissant lobby sioniste américain. Mais refuse ensuite, à l’étonnement général, et surtout celui des faucons néoconservateurs, d’entrer en guerre ouverte contre l’Iran. Comme quoi on peut être à la fois impétueux et savoir raison garder. Du coup, l’affrontement américano-iranien ne se fait plus qu’à fleurets mouchetés : assassinat, lui aussi « ciblé », du général Qassem Soleimani, en janvier 2020, haut responsable des opérations militaires iraniennes à l’étranger. Il fut l’un des principaux responsables, avec Vladimir Poutine, de la défaite militaire de Daech, ce que l’on a trop souvent tendance à oublier. En retour, Téhéran ne fait que bombarder deux bases américaines… vides de tout soldat. Chacun des deux protagonistes sait donc où il ne faut pas aller trop loin.

Ensuite, et au-delà des visées du nouveau locataire de la Maison-Blanche, que peut nous réserver la suite ? Joe Biden, empêtré par la présence tutélaire de Kamara Harris, sa pétulante vice-présidente, par ailleurs très occupée par les luttes sociétales qui doivent faire rire toutes les capitales mondiales, sera-t-il à la hauteur des enjeux à venir ? Nul ne le sait.

Au final, ce qui importe, c’est ce que le même Renaud Girard rappelle, reprenant ainsi les analyses déjà développées en ces colonnes : au sein de l’État profond américain, les voix sont de plus en plus nombreuses à s’interroger sur cet entêtement à vouloir tenir l’Iran pour ennemi ultime, alors que le monde a changé depuis la prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran, en 1979.

Et notre confrère de noter : « Les Américains des deux bords comprennent que l’antagonisme israélo-iranien est sans fondement historique ou géographique réel et qu’il ne durera pas éternellement. »

Ajoutons à cela que les USA craignent encore qu’à force de trop isoler l’Iran, ce dernier ne finisse par tomber dans la sphère d’influence chinoise – ce qui est, en partie, déjà fait –, tandis qu’Israël s’entête dans ses alliances arabes et sunnites, choyant ainsi conjoncturellement les seuls musulmans à structurellement vouloir sa perte, et le tableau sera complet.

En attendant, Joe Biden s’est cassé la cheville en promenant son chien. Il n’est pas loin, le temps où l’on regrettera le fantasque Donald Trump.

5707 vues

01 décembre 2020 à 17:12

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.