
- Pujadas : « Notre culture occidentale, fondée sur l’individualisme et le libéralisme, est-elle si agonisante que ça ? »
- Houellebecq : « Ouais ! »
Dans la grande « cage aux phobes » que sont devenus les médias français, il était logique que le dernier roman de Michel Houellebecq soit largement incompris. À l’exception d’un Emmanuel Carrère ou d’un Gilles Kepel, qui ont bien saisi la nature véritable du propos de l’écrivain, la majorité des journalistes, de Jean Birnbaum (Le Monde des livres) à Ali Baddou (Canal+), obsédés par la traque des déviants, sont tombés allègrement dans le piège qui leur était tendu et ont hurlé à l’is-la-mo-pho-bie.
Quelle bêtise abyssale de la part des Pécuchet de la critique ! Car le roman de Houellebecq est tout le contraire d’un brûlot contre la religion d’amour, de tolérance et de paix, tant la question de l’islam n’y est finalement que secondaire à côté de celles-ci : qu’est devenue la civilisation européenne ? Et au nom de quoi s’opposer à sa chute ? Le roman, en effet, n’est rien d’autre qu’un miroir tendu à l’homme européen, incarné par un héros en voie de zombification accélérée et dont la pauvre vie oscille entre YouPorn et sushi.com, dans une société française au bout du rouleau travaillée par une guerre civile rampante entre « identitaires » et « musulmans radicaux ».
Et c’est de ce vide que surgit la figure séduisante d’un Mohamed Abbes, sorte de croisement entre Malek Chebel et Tariq Ramadan, qui vient proposer la paix − car il est seul à pouvoir calmer les « quartiers populaires » en sécession − et le rétablissement d’un certain nombre de valeurs traditionnelles. Et que croyez-vous qu’il arriva ? Eh bien la France, dans le cadre d’un gigantesque syndrome de Stockholm, se donne.
Et les résistants potentiels ? Les chrétiens ? Insultés par une société qui a érigé le blasphème en hygiène du quotidien et rassérénés quant à leur statut de gens du Livre, ils se soumettent. Les juifs ? Ils partent en Israël, abandonnant sans regret une France en voie de tiers-mondisation. Les identitaires ? Nombre d’entre eux se rallient, à l'image d'un René Guénon, à un islam qui défend les valeurs de la tradition et renoue avec le sens de la communauté (grande préoccupation houellebecquienne). Le Français moyen ? Apeuré, déculturé, hébété, déraciné, fatigué de lui-même et par le fardeau d’une civilisation millénaire − Houellebecq évoque dans de belles lignes la grandeur de l’Occident médiéval −, il baisse les bras, comme le héros, et se soumet.
On l’aura compris, Soumission est moins un livre sur l’islam que sur ce que nous sommes devenus. Dans une lettre ironique, Chers Djihadistes, publiée en 2001, Philippe Muray s’adressait aux islamistes en leur disant : « Pourquoi vous fatiguez-vous ? Nous sommes morts. » En 2015, Houellebecq s’adresse aux Européens et leur demande : « Êtes-vous encore vivants ? » La réponse, au vu de l’actualité la plus récente, n'est pas si évidente...
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