Ce printemps est sévère pour la liberté d’expression. Je ne fais pas allusion à ma nouvelle condamnation, le mois dernier, pour mon discours aux Assises sur l’islamisation, “La Nocence, instrument du Grand Remplacement” ; mais plutôt à la loi sur le Renseignement, en débat cette semaine à l’Assemblée nationale ; à la chasse à l’homme lancée contre Robert Ménard, depuis trois jours, parce qu’il a soulevé un petit pan du drap qui cache médiatiquement ce qui survient, à savoir la substitution ethnique et culturelle, le changement de peuple et de civilisation ; et à la mort de Claude Durand.
Non pas du tout que Claude Durand partageât ces idées-là, nos idées, nos constatations plutôt, celles de “Boulevard Voltaire”, de Robert Ménard et les miennes. À vrai dire je serais bien en peine de dire ce qu’il pensait. Nous nous sommes beaucoup vus, beaucoup écrit, nous avons beaucoup travaillé ensemble, je lui dois énormément, mais nos relations étaient presque exclusivement professionnelles, d’auteur à éditeur, et je n’ai pas souvenir de l’avoir rencontré plus de quatre ou cinq fois en dehors de son bureau ; j’étais d’autant plus touché, cela dit, des cartes postales et des mots amicaux qu’il m’envoyait régulièrement de l’îlot des Saintes, au large de la Guadeloupe, où il passait tous les ans de longues semaines, à la fois pour se reposer et plus tranquillement travailler, ce qui était sans doute son idée du repos — il a évoqué ces tropiques dans Lilette, en 2012.
J’ai cru comprendre qu’il partageait à peu près mes vues, lui, l’ancien instituteur, sur l’état de délabrement avancé de l’École et, plus largement, sur la déliquescence culturelle du pays, livré qu’il est à la toute puissance du complexe médiatico-politique et de l’industrie de l’hébétude. Pour le reste, je ne saurais dire. Ce que je saurais dire, en revanche, et l’on ne saurait trop, c’est qu’avec Claude Durand disparaît une des grandes figures du combat pour que soit dit, écrit et publié ce qui doit l’être, ce qui veut l’être, ce qui ne peut pas ne pas l’être et ne peut l’être ailleurs.
Il faut dire qu’il avait fait ses armes sur le front le plus dur, avec Soljénitsyne. Il était déjà auréolé de la gloire d’avoir fait connaître Garcia Marquez et Cent ans de solitude lorsqu’il est devenu l’agent — c’est son propre terme, dans son ouvrage passionnant, Agent de Soljénitsyne —, l’ami, le correspondant en Occident, l’éditeur, bien sûr, le conseiller pour le reste du monde, le ministre des Affaires étrangères, et parfois de la Justice, et souvent des Finances, de l’homme qui a révélé à la terre entière la réalité concentrationnaire de l’Union soviétique ; et qui a fait autant et plus qu’aucun autre, autant que Ronald Reagan, autant que Jean-Paul II, pour l’effondrement de ce monstre-là. Ici la littérature rejoint l’histoire, je veux dire le destin de l’humanité. Sans l’aide de Claude Durand, Soljénitsyne serait-il arrivé à ses fins, politiquement (pour ce qui est des Lettres et de l’âme, la question ne se pose pas )? J’imagine que oui, car le Russe n’était pas homme à se laisser détourner facilement, ni même douloureusement, de son dessein. Mais sans la loyauté, l’intelligence et le sens stratégique du Français, il n’est pas douteux qu’il aurait mis plus longtemps, rencontré plus d’obstacles et souffert davantage encore.
Claude Durand était écrivain, et ce n’est même pas faute de succès qu’il a renoncé pendant trente ans à cette activité-là, pour ne la reprendre publiquement que tout à fait sur le tard, après avoir quitté la direction des éditions Fayard. On peut trouver singulier qu’un homme de cette trempe, animé comme il l’était d’une haute idée de lui-même, et nullement disposé à l’auto-effacement, ait pu consacrer le plus clair de sa vie à la gloire des autres, et d’abord à leur liberté d’expression, à leur influence, à l’existence et à la portée de leurs écrits. Les réponses ont nom Garcia Marquez, Ismaïl Kadaré, Michel Houellebecq et bien d’autres, mais avant tout Soljénitsyne, il me semble, qui aura été la grande affaire de son existence. À travers lui, à travers eux deux, et au prix du long silence de l’écrivain en Claude Durand, la face du monde et le destin de millions d’hommes ont été changés. Cela valait peut-être la peine de se taire longtemps, après La Nuit zoologique (prix Médicis 1979).
Pour ma part j’ai trouvé en Durand un hôte éditorial généreux, quand déjà on ne voulait plus, ailleurs, de mon journal : un défenseur, un soutien loyal et pourtant détaché dans tous les combats qui s’en sont suivis. Aussi longtemps qu’il a dirigé Fayard et qu’il y a eu grande influence, j’ai disposé là d’asile et protection. Et je ne lui ai valu en retour, bien entendu, que des insultes et des embêtements. Chaque fois qu’il y avait de lui un “portrait” dans la presse, j’étais toujours l’ombre au tableau. Et j’imagine que je vais l’être encore, maintenant que les portraits seront posthumes. À présent qu’il est ombre lui-même, le moins que je puisse faire est de lui exprimer ici ma reconnaissance, mes regrets, mon admiration, mon amitié et mon respect.
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