On attribue souvent à Lyautey, parfois à Gambetta, voire à Clemenceau lui-même, l’aphorisme fameux Gouverner c’est prévoir. Il revient en fait, un peu plus obscurément, et plus anciennement, à Émile de Girardin. De toute façon, il n’a plus cours. En régime de dictature idéologique, en l’occurrence celle de l’antiracisme dogmatique, autrement dit, de nos jours, du remplacisme — la théorie de l’interchangeabilité générale, à commencer par celle des hommes, des femmes et des peuples —, gouverner c’est ne pas voir (et surtout ne pas dire, ne pas prononcer les mots qui fâchent).
On arrive aux affaires, et surtout on s’y maintient, par la capacité qu’on a à ne pas nommer ce qui survient. En moyenne, il y a un décalage de vingt ans à peu près entre l’évidence et sa reconnaissance officielle par ceux qui nous gouvernent. Cela est vrai pour l’effondrement du système d’éducation, pour le lien entre insécurité et immigration, et, a fortiori, pour le secret entre les secrets, la lettre volée, le mystère en pleine lumière, j’ai nommé le changement de peuple et de civilisation. Dans les trois cas, la sociologie de cour, devenue un corps essentiel de grands commis de l’État, joue un rôle de coussin dilatoire entre la réalité et sa reconnaissance par le pouvoir. Elle sert à différer, chiffres et jolis tableaux à l’appui, l’affleurement détesté (et criminel, n’oublions pas criminel) de ce qui est.
Grand événement cette semaine, M. le Premier ministre a déclaré, avec cet air fâché qu’on lui connaît (il est vrai qu’il y avait de quoi… ), que nous vivions « une guerre de civilisation » — ou bien de civilisations ? À l’oral on ne peut pas savoir, mais le sens est tout différent. De toute façon, ce n’est pas précisément une nouvelle. C’est néanmoins un événement médiatique, puisque du coup le chef du gouvernement perd un point au grand Interville politique qui consiste à refuser le réel mordicus, et cela le plus longtemps possible. Tenir, tenir, tenir, ne pas voir et surtout ne pas dire. Notre supporter du Barça a tout de même résisté très longtemps. Les quatre lustres de palinodie rituelle sont respectés.
À ce rythme-là Manuel Valls, c. 2034, quand il sera sous-secrétaire d’État aux Dhimmis dans le gouvernement Ahmed Cherkaouï (c’est un nom forgé au hasard), finira par admettre sans tergiverser davantage que peut-être, en effet, il y a eu un Grand Remplacement, comme disait Albert Camus, l’ancien prix Nobel auvergnat. Il ajoutera toutefois qu’au temps où il était Premier ministre une telle substitution ethnique n’était absolument pas prévisible. L’Institut national de la statistique lui fournissait tous les jours des chiffres, à l’époque, qui n’allaient pas du tout dans ce sens-là. Et dans ses Mémoires, encore vingt ans plus tard, il expliquera que Dalil Boubakeur et Tarik Ramadan lui avaient donné la garantie formelle que les comment disait-on déjà, enfin les indigènes, quoi, les aborigènes, les rancis de souche, verraient leurs droits parfaitement respectés, à certaines conditions de discrétion et de respect (très important, le respect). Il avait même été prévu qu’ils puissent conserver le Cantal, comme zone semi-autonome. Mais finalement ça n’avait pas été possible, la mosquée de Saint-Flour et la willaya d’Aurillac avaient refusé l’enclavement.
Une petite satisfaction actuelle du combat idéologique, c’est que le pénible argument dit des années trente, voire des années les plus sombres etc., a totalement changé de camp, dernièrement. Les remplacistes font moins les farauds avec ça, ces temps-ci. Il continue de pleuvoir des points Godwin comme à Gravelines, mais les patriotes sont mieux à l’abri. Munichois, vichyssois, collaborateurs, ce n’est plus du tout à eux que font penser ces noms d’oiseaux. Et la fameuse séquence où l’on voit René Bousquet tout sourire et main tendue, dans son manteau à pelisse, venir féliciter pour leurs beaux succès ses amis occupants, on croit la revoir tous les jours, il n’y a qu’à changer les têtes, mais pas du tout les expressions.
Pour ma part, après les tragiques événements récents, il va sans dire que je pense d’abord à nos compatriotes musulmans. Ils sont les premières victimes — il faut bien se mettre cela dans la tête.
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