Pénible moment, pour François Ruffin, jeudi 21 septembre, après la manif contre les ordonnances. Lors d’un meeting au Havre, il a été hué par ceux-là mêmes qui l’avaient acclamé quelques minutes auparavant, au moment où il montait sur scène.

Que s’est-il passé dans l’intervalle ? Le député de La France insoumise s’est vu offrir par un « militant contre les violences policières » de Seine-Saint-Denis un T-shirt "Justice pour Adama" avec ce souhait du donateur, exprimé à voix haute : "J’espère qu’il le portera à l’Assemblée nationale et pourra interpeller le ministère de l’Intérieur sur le cas d’Adama Traoré." Applaudissements de la salle.

Malaise perceptible, en revanche, du côté du député qui prend la parole de façon hésitante. Il attendait, dit-il, un appel de la famille Traoré qui n’est jamais arrivé. "Moi, je crois à l’enquête tout d’abord", rajoute-t-il. Rires dans l’assistance. Il se dit "sensible aux propos car [il a] publié un papier", mais ne "[va] pas se positionner avant d’être intimement convaincu". Il insiste : "Je veux faire mon travail. En toute matière, je mène l’enquête d’abord. Ce à quoi je peux m’engager, c’est à vous recevoir pour que vous me filiez les preuves, qu’on regarde le dossier." Huées et protestations dans la foule. Il se justifie, tentant de couvrir les voix : "Pour que je porte des dossiers avec force, il faut que je sois animé moi-même d’une conviction puissante et intime." Le mouvement bruyant qui agite la salle montre qu’il n’a pas convaincu, loin s’en faut, son auditoire. François Ruffin fait un geste du bras, dépité, comme s’il abandonnait.

Je n’ai pas pour habitude de tresser des couronnes de laurier aux députés de La France insoumise, mais il faut reconnaître à François Ruffin, en la circonstance, une courageuse honnêteté. S’il n’est pas toujours simple d’apporter la contradiction à ses ennemis, il est très difficile de l’apporter à ses amis. François aurait pu, comme la sage lâcheté le commandait, jouer la carte du mollasson de Panurge : ne pas trop la ramener et laisser filer. Tu es d’accord ? Mmmm…

Chacun sait que François Ruffin a été formé - et peu ou prou en même temps - dans la même école de jésuites qu’Emmanuel Macron : La Providence d’Amiens. Il m’arrive de penser au brave homme - un vieillard, j’imagine, aujourd’hui - qui en était le directeur. Sans doute remue-t-il, au fond de lui, quelques interrogations teintées de remords en s’endormant le soir, sous la couette, dans son petit lit blanc : n’aurait-il pas omis de transmettre aux élèves qui étaient confiés à son prestigieux établissement catholique deux ou trois bricoles, pour que les plus célèbres d’entre eux appartiennent - foin des nuances politiciennes - pour l’un au camp socialiste, pour l’autre à celui communiste ?

Qu’il se console, preuve est faite que François Ruffin est doté - peut-être l’a-t-il acquise à La Providence ? - d’une conscience. Et entend l'utiliser, en l’espèce, comme le lui commande sa déontologie de journaliste, et même la simple bonne foi élémentaire : se renseigner avant, prendre position après. Et non l’inverse.

Reste - plus inquiétante - la réaction du public, constitué, peut-on supposer, d’électeurs moyens de La France insoumise. Leur camp ne peut avoir tort, puisqu’il a toujours raison. S’intéresser au dossier d’Adama Traoré, c’est en soi se désolidariser. Quiconque prétend rechercher la vérité est déjà suspect. François Ruffin devrait se méfier de ses copains. Ils pourraient bien un jour, dans la grande tradition révolutionnaire, lui faire subir le sort qu’à Danton Robespierre réserva.

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26 septembre 2017 à 20:13

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