"L’arrivée au pouvoir", tel est le thème, en toute simplicité, du séminaire qui regroupe d’aujourd’hui à dimanche, autour de Marine Le Pen et de quelques invités extérieurs et amis, une soixantaine de cadres dirigeants du Front national. Aucun sujet ne sera banni, aucun débat interdit, aucune suggestion a priori écartée, nous dit-on, pendant ces quarante-huit heures de tempête sous les crânes, à huis clos. Vaste programme…
Front national, tel est le nom, difficilement et fièrement porté, et jusqu’ici inchangé, du mouvement dont le père de l’actuelle présidente fut l’un des fondateurs, il y a quarante-quatre ans. C’est sous cette bannière qu’une formation longtemps groupusculaire, désormais tentaculaire, est née, a lutté, a prospéré, a grandi jusqu’à atteindre la barre des 30 %, devenant ainsi le premier parti de France, faisant jeu égal avec la gauche et la droite traditionnelles, et substituant un tripartisme fragile au système bipartisan installé depuis un demi-siècle.
Donner en France la priorité aux Français, pratiquer la préférence nationale, renvoyer en masse chez eux, par la voie des mers et des airs, les immigrants indésirables, sortir immédiatement de l’euro et, à terme, du carcan des traités européens, maintenir ou rétablir l’âge de la retraite à soixante ans, faire passer le SMIC à 1.500 euros, telles sont quelques-unes des idées-forces et des propositions chocs sur lesquelles le Front, aidé il est vrai par la crise des institutions, de la classe politique, de l’économie et de la société, a bâti un succès assez spectaculaire et désormais assez assuré pour que se pose avec acuité, à lui comme à ses adversaires, la question de la prise du pouvoir, raison d’être constitutive de toute entreprise politique.
Or, les dernières consultations électorales, municipales, européennes, départementales, régionales enfin, si elles ont toutes marqué et accentué l’irrésistible ascension du Front, ne lui ont à peu près nulle part permis de traduire sinon en sièges, en tout cas en conquêtes sa montée en voix. Sans grosse marge de progression d’un tour sur l’autre, sans alliés, toujours récusé par une majorité d’électeurs, le Front national aurait-il atteint l’invisible et indépassable plafond qui lui barrerait la route de la victoire ?
Certains pensent que c’est son nom même, son passé, sa filiation, ses adhérences anciennes qui sont en cause. Ce fut vrai, mais faut-il encore s’arrêter à ces apparences ? D’autres, qui voient plus loin, s’interrogent sur le fond. Ce qui a servi le Front national n’est-il pas ce qui le dessert au stade où il est arrivé ? Le moment n’est-il pas venu de changer peut-être le pavillon, sûrement la marchandise, de passer du statut de parti d’opposition et d’un programme de rupture au statut de parti de gouvernement et à un programme de rassemblement, de gommer, de lisser, d’effacer les aspérités, les points qui font litige, les provocations, avec l’espoir d’apaiser les craintes, de dissiper les allergies, de désarmer les opposants, mais au risque de renier l’histoire, la personnalité, l’originalité du parti et de le transformer en une grosse chose molle, attrape-tout, une machine électorale, un simple marchepied pour des ambitieux et des carrières, bref mutatis mutandis ce que sont devenus le PS et l’ex-UMP ? Au fait, le Front s’inscrira-t-il dans le registre thématique traditionnel, et bornera-t-il son ambition à être la dernière incarnation de la droite ou cherchera-t-il à dépasser des clivages qui ont si largement perdu de leur sens ?
On voit que les séminaristes d’Étiolles ne manqueront pas de sujets de réflexion et de controverse. L’enjeu n’est pas mince, dans la mesure où il s’agit de mettre à portée de main ce qui n’est jusqu’à présent qu’à portée de vue. Une chose est certaine : on ne peut plus se permettre, quand on est aux portes du pouvoir, ce qu’on s’autorisait quand on était condamné à cette peine perpétuelle de la politique qu’est l’opposition. Privé notamment par son intempérance verbale de toutes les chances qu’il a gâchées, un Mélenchon peut dire tout ce qui lui passe par la tête C’est sans conséquence. Son succès même contraint le Front à la responsabilité.
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