Des brownies, des muffins, des pâtes, des pommes dauphine, des gaufres par quatre, par six, par douze, des moelleuses poudrées, des molles, des dures… Chaque jour, le ministère de l’Agriculture complète sa liste et entretient cette psychose ridicule autour d’un produit qui, certes, ne devrait pas se trouver dans les œufs, mais dont les traces sont si infinitésimales qu’elles ne présentent strictement aucun danger pour le consommateur.

Comme nous l’avons déjà écrit ici, il faudrait consommer pas moins de vingt œufs quotidiennement pour commencer à ressentir le moindre effet sur le plan sanitaire. Si mal il y a, il est donc dans les têtes, bien implanté par les médias qui font monter chaque jour la mayonnaise avant qu’on n'en retire les pots des frigos. Certains, comme Challenges le 14 août, s’indignent même qu’"aucun rappel de produit n'a[it] été lancé auprès des consommateurs".

On nage en plein délire. Imagine-t-on les Français vider leurs placards de cuisine et rapporter la marchandise au magasin pour en réclamer le remboursement ? Quel commerçant peut gérer cela sans y laisser son fonds ?

De même, on balance des noms, des marques, quitte à couler l’entreprise. Il est vrai qu’on met les choses au conditionnel : "250.000 œufs contaminés pourraient avoir été consommés en France." Ah oui ? Consommés comment, dans quoi, de quelle façon ? Une telle information n’a strictement aucun sens. Seul chiffre tangible : "Les dommages directs causés dans le secteur de la volaille dans lequel a été utilisé le fipronil sont estimés à 33 millions d'euros", ont dit les ministres néerlandais concernés. On attend de voir le bilan de cette psychose estivale sur l’Europe… et encore celui-ci n’est-il qu’économique.

Car il y a un autre bilan, plus grave encore, et celui-là peut bien être très lourd de conséquences.

Le monde est à nos portes, celui des crève-misère qu’on tente en vain de repousser sur leurs rafiots ; celui qui s’entasse dans la « jungle » toujours reconstituée, celui qu’on évacue des portes de Paris. Celui dont on évite de parler parce qu’il se dissémine, se cache, se glisse, s’infiltre, se répand dans nos rues comme une eau sombre. Un soir de cette semaine, j’ai descendu à la nuit tombante cette portion de la rue du Faubourg-Saint-Denis qui va de la gare du Nord à la rue de Paradis, si mal nommée. Passé ce carrefour, les bobos ont envahi les terrasses, mais à cent mètres en amont, on a dressé de hautes barricades autour du petit square et des terre-pleins qui habillent le carrefour Magenta. Des affichettes invoquent pudiquement la "dératisation".

La vérité est autre : le quartier grouille de migrants qui, chassés de leurs carrés d’herbe, campent à même le trottoir au milieu des immondices et des déjections. Des gens qui ne sont pas tous idiots, loin s’en faut. Des gens qui, sans aucun doute, aimeraient manger des œufs, des gaufres et des muffins au fipronil. Des gens que nos psychoses d’enfants gâtés et gavés ne peuvent que rendre fous. Donc dangereux.

La marque du monde actuel est que nos sociétés sont chaque jour plus inégalitaires, que le fossé qui s’y creuse sera demain un gouffre infranchissable. Nos chères élites si amoureuses de la Révolution française, celles qui en pincent toujours pour Robespierre, ont depuis deux siècles entretenu à dessein ce mensonge de l’Histoire : devant les pauvres affamés par la disette de 1789 et la hausse des prix du pain, la reine Marie-Antoinette aurait lancé cette phrase : "Ils n'ont pas de pain ? Qu'ils mangent de la brioche !"

Les temps ont changé. On retire aujourd’hui le pain et la brioche parce qu’ils ne sont pas assez blancs, ou pas assez dorés. On jette des tonnes de plats cuisinés parce qu’ils contiennent du cheval et non du bœuf, on assassine « par précaution » des millions d’animaux qu’on a sciemment empoisonnés…

Les bien-pensants ont encore tranché : plutôt des ventres vides mais sains que des traces de fipronil ! Mais prenons garde : ventre affamé n’a point d’oreilles…

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25 août 2017 à 19:34

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