
Discret, et même secret, flegmatique, mystérieux, laconique, et même taiseux, à coup sûr un animal politique de sang-froid… Il n’est assurément pas de la race de ceux qui grimpent sur la première estrade venue pour y prendre des poses à la Danton ou à la Jaurès et semer au vent d’immortelles paroles qu’emportera le vent. Les grandes ambitions s’avancent souvent silencieuses et masquées. Ceux – bien souvent des proches, des compagnons — qui, de longue date, ont fait à François Fillon une réputation de prudence confinant à la couardise (« Courage, Fillon ») semblent ne pas avoir suivi dans son détail ni compris un parcours sans faute. Voué au rôle d’éternel second, mais suivant une pente continuellement ascendante, Fillon a été successivement l’attaché parlementaire de Joël Le Theule, le lieutenant de Philippe Séguin, le ministre d’Édouard Balladur, d’Alain Juppé, de Jean-Pierre Raffarin, enfin, pendant un quinquennat entier, le Premier ministre de Nicolas Sarkozy, effacé mais loyal dans ces diverses et souvent difficiles fonctions.
Les mêmes bons « amis » qui se gaussent des couleuvres qu’il a dû avaler dans ces différentes fonctions et qui n’ont vu dans ce comportement que pusillanimité, voire lâcheté, n’ont pas pris garde qu’il s’abaissait pour mieux s’élever et qu’il n’avait jamais perdu de vue son but caché : se retrouver en situation de briguer la magistrature suprême. Comment ne pas penser au mot subtil de Louis XVIII sur son cousin le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe : « Je ne le vois pas bouger, et pourtant, il chemine » ? On a cru déceler une preuve nouvelle du caractère, de l’absence de caractère, qu’on lui prête généreusement, dans son refus de se présenter à la mairie de Paris, sans s’aviser qu’il ne voyait pas l’intérêt d’aller à un échec assuré. D’où la surprise de ses détracteurs lorsqu’il a fait preuve de pugnacité et de ténacité lors du combat de chiens qui l’a opposé à la fin de l’année dernière au coriace Jean-François Copé.
Le Fillon nouveau est-il arrivé ? On pourrait le croire à lire l’interview que, enfin émancipé, il accordait hier au quotidien Les Échos. L’ancien Premier ministre s’y dévoile enfin. Tirant un trait sur le passé, et très précisément sur sa longue sujétion, ès qualités, à Nicolas Sarkozy, il y déclare sans ambages : « Nous avons été battus il y a un an et vous ne me ferez jamais dire que nous avions presque gagné. » Sa stratégie n’est pas moins claire. Anticipant l’échec de la majorité actuelle et la montée des extrêmes, il ne voit le salut que dans la constitution d’un gouvernement d’union nationale, d’une grande coalition regroupant les deux grands partis de gouvernement. Il a enfin des mots très durs sur un François Hollande qui, dit-il, l’a profondément déçu. Il reproche notamment au chef de l’État son manque d’autorité et de flexibilité intellectuelle, « notamment dans ses relations avec l’Allemagne… La manière dont il brandit la menace d’exclusion de ses ministres sans jamais prendre de décisions est terrible. » Lui président de la République, François Fillon aurait immédiatement démis de ses fonctions Arnaud Montebourg.
Lui président de la République… La fonction présidentielle, dit-on, transforme l’homme qui l’exerce ? C’est ce qu’on n’a pas constaté jusqu’ici avec François Hollande. Mais l’ambition présidentielle peut révéler l’homme qui la nourrit. Est-ce le cas de François Fillon ? Peut-être aurons-nous l’occasion de le vérifier.
23 avril 2013