Être ou ne pas être… sur la photo

article jany leroy
©SEBASTIEN BOZON / POOL/EPA/MAXPPP - epa08225702 French President Emmanuel Macron (R) surrounded by people, answers journalists' questions as he arrives to the police station in the district of Bourtzwiller, in Mulhouse, eastern France, 18 February 2020. During his visit in Mulhouse, French President will announce the government's strategy to fight 'Islamist separatism' and 'discrimination', he said on February 18. EPA-EFE/SEBASTIEN BOZON / POOL MAXPPP OUT

Cela devient une manie, une triste habitude : il faut être sur la photo. Vous comprenez, la photo, c’est durable, comme il convient de dire aujourd’hui pour vendre de la camelote qui vient de loin. Ça se garde, une photo. Ça se regarde aussi : « Moi avec Machin », « Moi avec Trucmuche », « Nous au Salon de bla-bla… » On met « ça » sur la cheminée ou sur le mur de la salle à manger ou, à la rigueur, dans les toilettes si tous les murs sont déjà occupés. Et avec « ça », on impressionne sa femme de ménage et sa concierge. Tandis qu’un article de journal sans photo, c’est d’un triste ! Fade comme une nécro ! Le pire, c’est la télé : là, il y a des millions de gens occupés à regarder. Alors, il faut absolument être dans le champ. Forcément.

Tout le monde se souvient de la photo de groupe qui clôturait la COP21. Au centre de l’image, le trio français organisateur : Hollande, Valls et Fabius. Tout autour, que des costumes gris foncé. « Saperlipopette ! » se dit Ségolène : « Et moi ! Et moi ! » Quelques pleurnicheries plus tard, la voilà sur la photo. Pas au centre, un peu à l’écart. Mais elle y est quand même. Et, pour qu’on ne s’y trompe pas, elle a enfilé une veste bleue électrique : résultat, on ne voit qu’elle. Chapeau, l’artiste !

Aujourd’hui, c’est pareil, en pire ! On a pris l’habitude de voir double, ce qui, jusque alors, était réservé aux éthyliques compulsifs.

Prenez Christophe Castaner, par exemple. En le nommant ministre de l’Intérieur, Macron lui a collé une « taupe », comme on dit à la DGSI. Partout, tout le temps, lorsque le ministre apparaît sur les écrans, on distingue, au-dessus de son épaule droite, le rictus mystérieux de son officier traitant, le sieur Nuñez : il surveille « Kéké », ou « Simplet », si vous préférez !

Aujourd’hui, on patauge dans le coronavirus. La crise est suffisamment grave pour justifier l’intervention du président de la République. Il s’exprime sur le sujet ; on le filme : quoi de plus normal. Dans l’oreille du cadreur : « Élargis, Coco ! Il faut qu’on voie le mec qui est à gauche. » Le « mec », c’est le tout nouveau ministre de la Santé. À quoi sert-il, dans l’image ? À rien ! Que dit-il ? Rien ! Que fait-il ? Rien ! Alors, pourquoi est-il là ?

Une qui a pigé, c’est la femme voilée de Mulhouse. Elle est tout près du Président, en tenue interdite : elle est sur la photo avec son niqab ! Là, pour le coup, l’image sert à quelque chose, enfin, dans la tête de ceux qui ont mis au point ce scénario provocateur. Ils ont eu raison : le Président n’a rien dit !

Je sais pourquoi ils veulent tous y être : c’est de la com’ ! Pour exister, faut se montrer. « Vanitas vanitatum et omnia vanitas », tonne l’Ecclésiaste. Mais qui lit l’Ecclésiaste, de nos jours ? Plus le temps ! Y a Hanouna ! On ne peut plus lire ! On ne fait que regarder : c’est pourquoi le sujet qui nous occupe aujourd’hui est capital : « être ou ne pas être sur la photo ». Ce n’est pas moi qui pose la question, c’est Shakespeare.

Yannik Chauvin
Yannik Chauvin
Docteur en droit, écrivain, compositeur

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