Erdoğan a-t-il gagné ?

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Une partie de l’avenir de la Turquie se jouait dimanche 16 avril 2017. Les urnes ont parlé : Recep Tayyip Erdoğan a gagné son pari. Le « oui » à la réforme constitutionnelle l’a emporté d’une courte tête (51,3 % après le dépouillement de 99 % des bulletins), transformant le pays en une République présidentielle à la gloire du néo-sultan ottoman. Près de 86 % des électeurs turcs ont voté pour répondre à la question posée par leur président, au terme de débats d’une grande intensité qui auront dévoilé les fractures internes d’une Turquie moins unie qu’il n’y paraît. Non, ce scrutin n’a pas été le plébiscite espéré par l’hyper-président Erdoğan. Avec un peu d’optimisme, il n’est pas interdit de croire que l’AKP y aura même laissé quelques plumes…

Premier enseignement : les Turcs de l’étranger ont largement soutenu le « reis ». Les chiffres donnent le tournis : 63,6 % de « oui » en Allemagne, 67,8 % de « oui » aux Pays-Bas ou bien encore 63 % de « oui » en France. Preuve est donc faite que les Turcs les plus européens ne vivent pas en Europe… Les expatriés turcs vivant sur le Vieux Continent viennent, pour la plupart, d’Anatolie. Ils sont fortement islamisés et conservateurs. Voilà qui expliquera la campagne agressive de l’AKP en Europe. En pointant du doigt les Européens, comme étant « islamophobes » et ennemis de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan savait qu’il allait mobiliser ses compatriotes exilés pour voter en sa faveur… Terriblement inquiétant.

Second enseignement : le territoire turc est morcelé. À l’image de l’élection présidentielle américaine, la Turquie semble divisée. D’un côté, les grandes villes et les côtes. De l’autre, l’intérieur du pays. Istanbul a voté « non », alors même qu’Erdoğan en fut longtemps le maire. Idem à Ankara ou à Izmir. La Turquie moderne, attachée à la laïcité et à la démocratie, n’a pas totalement perdu. En effet, elle a montré d’étonnantes capacités de résistance. Rappelons aussi que l’AKP et le MHP (parti allié nationaliste sécularisé) avaient enregistré des scores supérieurs de 10 % lors des dernières élections de novembre 2015, dans les villes d’Istanbul et d’Ankara où ils étaient arrivés en tête.

Troisième enseignement : la majorité construite par Erdoğan, autour de la réforme constitutionnelle, semble s’effriter. Si Devlet Bahçeli, actuel numéro un du MHP, a ardemment soutenu le « oui », la base de son parti et un grand nombre de cadres s’y sont refusés, craignant l’extrême religiosité de Recep Tayyip Erdoğan. Voilà un signe encourageant pour l’avenir. En outre, certains membres de l’AKP, notamment dans les régions côtières et l’ouest du pays, se sont ouvertement inquiétés de la concentration extrême du pouvoir entre les mains du seul Erdoğan…

La victoire en demi-teinte d’Erdoğan met un léger coup de frein à ses projets. Par sa brutalité, la campagne laissera des traces en Turquie. Avec une si courte majorité, Erdoğan aura-t-il la légitimité nécessaire pour réformer aussi profondément les institutions nationales ? On peut en douter. Autre chose : il est réjouissant de constater que près de la moitié des Turcs ont dit merde à ces imams qui leur promettaient l’enfer en cas de vote « non » et à ces célèbres éditorialistes qui estimaient que les partisans du « oui » remplissaient "un devoir religieux"… Demain leur appartient !

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:25.

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