Emanuelle Ménard : « Un équilibre assez fragile avait été trouvé avec la loi Veil, tout a été balayé ce matin »

Emmanuelle Ménard

Emmanuelle Ménard, députée de l'Hérault, réagit au micro de BV sur les débats qui se sont tenus ce matin à l'Assemblée nationale au sujet de l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Le vote de cet amendement apparaît à ses yeux comme une décision inutile et dangereuse, notamment en raison de la voie qu'il ouvre à toutes formes de bouleversements sociétaux.

Marc Eynaud. À l'Assemblée nationale a été discuté le projet de loi de constitutionnalisation de l’IVG porté par La France insoumise. Pourquoi vous êtes-vous opposée à ce projet ?

Emmanuelle Ménard. Pour trois raisons. Tout d’abord, c’est inutile. Les députés LFI nous expliquent que l’IVG est très menacée en France alors que toutes les modifications législatives depuis la loi Veil de 1975 vont dans le sens de l’élargissement ou de l’assouplissement des conditions requises pour avoir accès à l’avortement. Les délais ont été allongés à deux reprises, le délai de réflexion a été supprimé, ainsi que le consentement parental pour les mineures. La suppression de la notion de détresse, l'instauration du délit d’entrave et le remboursement intégral montrent que ce droit à l’IVG n’est pas menacé en France. Il est également garanti par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Au contraire, la remise en cause de l’IVG par la loi serait aussitôt censurée par le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, La France insoumise fait référence à cette crainte qu’ils ont après la décision de la Cour suprême des États-Unis de juin dernier. Avec cela, ils justifient leur proposition de loi ; or, cela n’a aucun sens. On ne peut pas importer en France un débat lié à une spécificité constitutionnelle des États-Unis. La Constitution des États-Unis n’a rien à voir avec la Constitution française. C’est donc une fausse bonne raison.
Dernière raison, c’est dangereux. Toucher à la Constitution sur une question sociétale comme celle de l’avortement ou de la contraception, c’est ouvrir la boîte de Pandore à toutes les surenchères. Ils vont y mettre l’euthanasie, le droit au changement de sexe, la contraception ou la GPA. Il faudra changer la Constitution toutes les cinq minutes. Dans la discussion générale de ce matin, je soulignais le fait qu’ils ne manqueraient pas d’idée en la matière. Ils bouleversent complètement les équilibres trouvés par la loi Veil, notamment en termes de délai d’avortement ainsi que cet équilibre très précaire entre la liberté de la femme et son droit à disposer de son corps et la protection du droit à la vie. Un équilibre assez fragile avait été trouvé avec cette loi, tout a été balayé avec l’amendement voté ce matin.

M. E. Marine Le Pen avait déposé un amendement pour constitutionnaliser la loi Veil afin de limiter les dégâts. Pourquoi n’étiez-vous pas favorable à cet amendement ?

E. M. Elle a retiré son amendement qui était un peu construit dans le même esprit que celui des Républicains. Entre la constitutionnalisation proposée par La France insoumise et la constitutionnalisation des principes et de l’esprit de la loi Veil, le second est un moindre mal. J'ai voté sur l’amendement d’Olivier Marleix des Républicains car je trouvais que c’était un moindre mal. Si on ne votait pas celui-là, je savais ce qu’il se passerait après. Malheureusement, l’amendement a été rejeté. Je ne pouvais pas voter pour la formulation finale, c’est inutile et dangereux.

M. E. D’autres députés vous ont-ils rejointe sur cette question ?

E. M. Nous étions cinq : Anne-Laure Blin, Marc Le Fur, Xavier Breton, Patrick Hetzel et moi. Cinq sur 577 députés, c’est peu.

M. E. Vous avez été taxée d’extrême droite et de réactionnaire par vos adversaires. Ces attaques vous ont-elles touchée ?

E. M. De la part de La France insoumise, elles ne me touchent pas. Et malheureusement, je commence à avoir l’habitude. Ce matin, c’était plutôt modéré car d’habitude, ils me traitent d'obscurantiste. En revanche, j’ai répondu à Mathilde Panot qui ment sur les amendements que j’ai déposés. Elle dit que je demandais que la femme puisse avorter avec l’autorisation de son mari. C’est faux. Je demande qu’on arrête de dire que l’IVG ne concerne que la femme. Quand la femme est enceinte, en général, c’est qu’elle a fait cet enfant avec un homme. Il y a des cas où l’homme se désintéresse de la situation, il y a des accidents de la vie, mais il y a aussi beaucoup de cas où cette décision se prend au sein d’un couple. Je pense que l’homme n’a pas à être écarté automatiquement de la décision. Cela ne veut pas dire que le dernier mot ne doit pas revenir à la femme car c’est dans son corps que ça se passe, mais à chaque fois j’essaie de remettre un semblant d’équilibre dans le texte. Autre exemple, La France insoumise parle de ces femmes que l’on forcerait à garder l’enfant quand elles sont enceintes. Mais ils ne parlent jamais de ces femmes que l’on force à avorter ; or, ça existe. En Grande-Bretagne, une étude donne des chiffres de femmes qui ont subi des pressions pour avorter alors qu’elles souhaitaient plutôt garder l'enfant. Je ne dis pas que c’est le cas tout le temps, je dis qu’il faut prendre en compte ces conditions-là. Je ne porte pas de jugement moral. Si vous voulez faire un changement dans la Constitution, il faut prendre en compte toutes les situations et pas seulement par rapport au prisme idéologique de LFI.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Vos commentaires

22 commentaires

  1. La Constitution ne doit pas pouvoir être modifiée sans une consultation du peuple. Introduire la mort de l’embryon humain est contraire au texte fondateur qui est de protéger le faible. Honte à tous ceux qui ne se sont pas opposés à cette proposition.

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